Chapitre 1

 

Préoccupé par ses échecs de la matinée, Cole Davano s’abritait à l’ombre de la devanture d’un prestigieux building. Le bâtiment situé dans le quartier des affaires de Los Angeles accueillait un cabinet d’avocats auquel il venait de soumettre une candidature spontanée. Il avait bien tenté de s’adresser directement à l’un des associés, mais la secrétaire l’avait courtoisement congédié tout en alertant d’un coup d’œil le gardien. Devant son expression intraitable, il n’avait pas osé argumenter davantage quant à sa motivation.

La crise n’épargnait aucun secteur d’activité, et Cole s’était vu récemment remercié par le précédent cabinet qui l’employait.

Juriste de formation, le jeune homme devait à tout prix retrouver du travail. Qu’importe la fonction.

Mais avant de reprendre son périple de porte-à-porte, il vérifia son apparence dans la surface vitrée du gratte-ciel. En temps normal, il n’avait aucun mal à faire bonne impression, mais après des heures de marche dans les jambes sous cette chaleur, il avait sans doute perdu un peu de sa fraîcheur. Il ajusta sa cravate et lissa machinalement les pans de la veste sombre qu’il portait sur une chemise bleu ciel. Il examina les marques de fatigue qui tendaient ses traits juvéniles. Il commençait à ressentir les effets de la température infernale de la cité des anges. Heureusement, son regard marron restait encore vif sous ses sourcils broussailleux. Il termina son inspection en recoiffant rapidement ses cheveux châtains et il reprit la route. Il n’avait pas une minute à perdre, c’était bientôt l’heure du déjeuner.

Il pressa le pas et tourna au bas d’une rue qui abritait des bâtiments de moindre importance. Cole s’arrêta au pied d’un immeuble et lut le panneau qui présentait les différents locataires – un curieux mélange de professions – du dentiste en passant par l’architecte, et… une agence de détective privé.

« Marshall Investigation ». Deuxième étage.

L’idée qui germa dans son esprit le fit sourire. Il pourrait peut-être étendre ses démarches à d’autres domaines d’activité. Et pourquoi pas ? Il devait bien y avoir des tâches administratives. Et la paperasse, ça le connaissait !

Décidé à tenter sa chance, Cole emprunta les escaliers et, une fois arrivé sur le palier, suivit les panneaux. Il longea le corridor et se posta devant une porte vert foncé où figurait le nom du détective. Il frappa et patienta, fantasmant tel un gamin sur ce métier trépidant.

Mais Cole revint très vite à ses vingt-huit ans, à la précarité de sa situation, et toqua une nouvelle fois. Il n’était pas là pour rêvasser. Et surtout pas pour perdre son temps, songea-t-il un quart d’heure plus tard en regrettant d’avoir fait le guet.

Le détective Marshall devait être en pleine filature. Quant à lui, il devait reprendre sa recherche d’emploi et dénicher le job qui lui permettrait de gagner son indépendance. Vivre avec sa mère n’était pas dérangeant en soi, mais il devait quitter le nid pour construire sa vie.

Cole sortit de sa serviette un exemplaire de son CV, décidé à le glisser sous la porte, quand un homme apparut.

Brun au physique athlétique, il s’avançait vers lui, le nez plongé dans son courrier. Le polo bleu marine qu’il portait soulignait ses larges épaules et révélait de beaux biceps. Et le treillis sable qui moulait ses cuisses puissantes renforçait l’impression d’action qu’il dégageait.

Il devait s’agir du détective !

— Bonjour, fit l’homme en l’apercevant.

Son salut était ferme, quasi militaire.

— Bonjour. Vous êtes le détective Marshall ?

— C’est bien moi. Je peux faire quelque chose pour vous ?

— Cole Davano.

L’homme qui le dépassait d’une bonne tête lui serra la main et Cole ressentit une curieuse chaleur. La beauté virile du détective avec ses yeux gris vert n’y était certainement pas étrangère.

— Je souhaiterais m’entretenir avec vous, dit-il en revenant à la raison de sa présence.

Le détective sortit ses clés, ouvrit la porte et l’invita à entrer.

L’agence n’avait rien emprunté aux décors des vieux films en noir et blanc avec des rais de lumières filtrées par des stores vénitiens. Moderne, elle s’agençait autour d’une porte fermée. Cole supposa qu’il s’agissait du bureau personnel du détective. De chaque côté, l’accueil et une petite salle d’attente se partageaient l’espace en plus d’un discret coin-cuisine.

— En quoi puis-je vous aider ?

— J’aimerais vous proposer mes services.

— Me proposer vos services ? demanda le détective en posant son courrier.

— Je suis à la recherche d’un emploi et je souhaite postuler chez vous, dit Cole en lui donnant son CV.

Le détective parcourut la feuille en silence.

— Vous êtes fiscaliste, émit-il.

— Oui, je sais que je ne suis pas au bon endroit, bredouilla Cole. Mais je frappe pour ainsi dire à toutes les portes.

— Navré, je ne suis pas à la recherche d’employés.

— Si c’est une question de salaire, je ne demande rien.

— Êtes-vous certain de savoir comment fonctionne le monde du travail ?

— Je dois éviter de longues périodes d’inactivité.

— Je vous comprends, mais je n’ai rien à vous proposer.

Cole lorgna le bureau encombré.

— J’ai congédié mon assistante. Je n’ai en vérité besoin de personne, dit le détective.

— Il faut bien que quelqu’un accueille les clients.

— Je m’en charge. Tenez, ça vous évitera de faire une copie, fit-il en lui rendant son CV.

— Pouvez-vous le garder ? Si jamais un de vos clients était un avocat…

Le détective le fixa un moment et il se sentit passé au crible. Cette attitude l’intimida, mais Cole tenta de ne pas se trahir en soutenant son regard – incroyable.

— Si vous le souhaitez, conclut l’homme.

Cole réprima un soupir, mais déjà son rythme cardiaque se stabilisait.

Exercice stressant, l’entretien d’embauche se révélait difficile à cause de son humilité naturelle. Il n’était en rien un commercial quand il s’agissait de se vendre. Par moment, il regrettait de ne pas être un requin, de faire preuve d’un peu de dépassement de soi.

Il manquait de ténacité. Ce qui expliquait sans doute sa situation.

Il s’en voulut de ne pas avoir été capable de convaincre Steve Marshall. En même temps, il n’avait rien fait pour ça. Sans compter l’attitude du privé qui l’avait déstabilisé. Il possédait une aura qui vous poussait au silence. Ce non-entretien se hissait au top de sa liste de refus.

La posture inébranlable du détective poussa Cole à prendre le chemin de la sortie. Il appliquerait ce qu’il venait de réaliser une autre fois, en présence de quelqu’un de moins hermétique.

— Cole.

Une lueur d’espoir le gagna. Le refus n’était peut-être pas si catégorique que ça.

— Oui ?

— Bonne chance dans vos recherches, dit Steve alors que la porte de l’agence s’ouvrait.

— Détective Marshall ?

Cole se retourna sur le jeune homme qui venait d’entrer et eut un hoquet de surprise. D’une certaine manière, il le connaissait.

— Benjamin Everett ? Toutes mes condoléances, dit Cole.

Chapitre 2

 

La formule résonna en Steve Marshall tel l’écho lointain d’une douleur qui guettait. Elle s’enroula avec vélocité autour de son cœur, ses anneaux le comprimant. Il tâcha de s’en défaire et se présenta au jeune homme. Il devait garder pied dans la réalité et non dans les souvenirs qui affluaient.

— Détective Marshall.

— Benjamin Everett.

— Il vous arrive encore de vous présenter ? intervint Cole.

Steve considéra le jeune chômeur et dévisagea le nouvel arrivant. Il lui donnait la petite trentaine et devina à sa tenue qu’il n’était pas sans le sou. Mais ce visage harmonieux au sourire timide ne lui disait strictement rien, à part qu’il devait plaire.

— En quoi puis-je vous aider, monsieur Everett ?

— J’aimerais m’entretenir avec vous d’une affaire.

— Passez dans mon bureau, dit-il en l’accompagnant. Je vous rejoins dans une minute.

Steve revint vers Cole, visiblement enthousiasmé par cette brève rencontre. La lueur dans son regard lui rappela sa sœur. L’étau dans sa poitrine se resserra.

— Monsieur Davano. Je vous souhaite une bonne journée.

Il posa une main ferme sur son épaule, un geste engageant.

— Bonne journée, monsieur Marshall. Et merci encore.

Il n’avait pourtant rien fait. Sa politesse le surprit et le toucha.

Cole représentait cette génération de diplômés laissée pour compte dans une société en crise où l’emploi n’était en rien garanti. Il évita de regarder le bureau d’accueil noyé sous une tonne de fatras.

Il aurait peut-être dû faire l’effort de le recevoir. Pour la forme et pour se donner bonne conscience. Cole s’était déplacé et venait de la périphérie de la ville d’après son CV.

Steve chassa l’empathie qui le gagnait, l’heure n’était pas à l’atermoiement. Un client patientait à côté. Il se recentra sur son métier et regagna son bureau.

— Désolé de vous avoir fait attendre.

— Je vous en prie.

— Que puis-je pour vous ? demanda Steve en s’asseyant.

— À vrai dire, je ne suis plus très sûr.

— C’est ce que ressentent la plupart des gens en venant ici. Dites-moi ce qui vous amène et je vous dirais si vous êtes au bon endroit.

Steve sourit pour le détendre. La nervosité de Everett ne lui avait pas échappé, le jeune homme triturait ses doigts.

— Je ne sais pas trop, j’ai des doutes quant à ma démarche. La police a fait son travail, mais je ne m’y résous pas. Il est mort depuis bientôt trois mois et j’espère toujours qu’il va m’appeler.

— Qui ?

— Dan, répondit-il, tête baissée.

— Votre ami ?

— Mon meilleur ami, fit-il en relevant des yeux humides. Vous n’avez pas l’air de faire le lien.

— Je suis désolé. Il semblerait que je devrais, mais je ne vois pas.

— Dan Halden.

Ce nom.

Il lui semblait l’avoir entendu plusieurs fois au cours des derniers mois. Mais la période trouble qu’il traversait le coupait du reste du monde. En dehors de ses affaires, Steve se déconnectait de la réalité.

S’il comprenait bien, Dan Halden et ce Benjamin Everett jouissaient d’une certaine notoriété. En d’autres termes, une raison supplémentaire pour être passé à côté. L’expert de la famille en matière de célébrités, ce n’était pas lui. Son cœur se serra.

— Toutes mes condoléances, dit-il simplement.

— C’est gentil.

— Vous exprimiez des doutes quant à votre démarche. Quelle est-elle exactement ?

— Vous n’êtes pas sans savoir qu’il a été retrouvé… mort, dit Benjamin d’une voix brisée.

Everett marqua une pause et inspira profondément avant de poursuivre.

— La police a conclu à un accident par overdose, voire à un suicide. Sauf que je n’y crois pas, ce n’est pas lui. On parle ici de drogue dure, même pour Dan qui adorait braver les interdits…

— Néanmoins, vous sous-entendez qu’il se droguait.

— Oui. De l’herbe. La coke, il a certainement dû y goûter. Mais l’Xtrahigh, ça jamais ! affirma Everett, catégorique.

— Vous réfutez donc ces thèses ?

Le jeune homme acquiesça.

— Et que lui est-il arrivé selon vous ?

— Je pense qu’on l’a assassiné !

Sa conviction provoqua chez Steve un imperceptible mouvement de recul.

— La police a pourtant mené son enquête.

— La police se trompe, dit Benjamin en serrant les poings. Ce n’était pas le genre de Dan. Il était loin d’être suicidaire.

— Que voulez-vous dire exactement ?

— Dans cette affaire, quand ils parlent de mort accidentelle, c’est pour que cela soit moins affligeant. Ils n’ont pas trouvé de mots, mais ils restent persuadés qu’il s’est suicidé.

Everett s’arrêta et respira pour retrouver son calme.

— Avec ses antécédents et si je ne le connaissais pas mieux, j’y aurais également cru.

— Quels antécédents ?

— Vous ne voyez pas ? Où étiez-vous ces cinq dernières années ?

Dans un univers parallèle, un monde où elle avait disparu.

Cette pensée silencieuse que Steve ne put retenir fila dans un coin sombre de son cerveau avec les autres. Il priait pour qu’elles y restent tapies. Sans succès.

— Et si vous éclairiez ma lanterne, répliqua-t-il pour faire distraction.

— Je vous parle de Dan Halden, l’héritier jet-setter de l’empire hôtelier.

— Je ne suis pas l’actualité people.

— Ce n’est pas plus mal, concéda Everett. J’imagine que sans toute cette célébrité, je ne serais pas là et Dan serait encore en vie.

— Monsieur Everett, qu’attendez-vous de moi exactement ?

— Que vous rouvriez l’enquête.

— Pourtant la police…

— Les autorités n’ont vu que ce qu’elles voulaient !

Animée par le chagrin et la colère, sa voix était montée d’un cran. Une saute d’humeur que Steve reconnaissait pour l’avoir déjà expérimentée dans les mêmes circonstances.

— Je ne voudrais pas vous offenser, mais vous êtes en plein deuil.

— Et je ne cesserai jamais de l’être. Cependant, j’ai les idées claires. Sa mort n’a rien d’accidentel, tout comme il n’a pas attenté à ses jours.

Everett tourna la tête, tenta de maîtriser l’émotion qui le gagnait et se couvrit les yeux quand il s’effondra en sanglots.

Steve resta silencieux. Ce désarroi lui fit remonter le temps.

La mort. Jamais il ne l’avait imaginée pour elle. Déjà petits, lorsqu’il jouait à des aventures imaginaires et qu’elle était blessée, il trouvait toujours une solution pour la soigner. Et quand il lui arrivait de mourir, le scénario de Steve comportait toujours une scène où il parvenait à la ressusciter. Un breuvage ou une pierre ancestrale aux pouvoirs miraculeux, et elle revenait parmi eux.

Sa mort, il l’avait bravée tant de fois avec un succès insolent, une magie d’enfant.

Mais ils n’étaient plus ces êtres innocents dans un monde où les règles de la réalité ne s’appliquent pas. Ils avaient grandi et leur vie n’était plus infaillible.

La mort réclamait son droit et l’image d’éternité que prenaient ceux que l’on aime pâlissait au fil des années. Mais il lui restait normalement du temps avant que la pellicule jaunisse, avant qu’elle n’ait des rides, avant son dernier soupir. C’était ce qu’il avait toujours cru.

Dans sa vision de leur vie, il mourait le premier.

En tant qu’aîné, cette finalité était la plus sensée, répondait à une logique simpliste. En tant que grand frère, sa lâcheté l’obligeait à vouloir partir en égoïste. Elle était sa vie. Sans elle à ses côtés, il n’aurait plus eu de famille – leurs parents étant morts. Un souvenir pénible que cet adieu, une douleur indéfinissable.

Mais sa disparition n’avait rien de normal, de légitime, et brisait l’harmonie de sa vie.

Comment vivre alors qu’elle n’était plus là ? Une question qui l’accablait chaque jour.

— Je demande simplement un regard neuf sur cette affaire. Et vous semblez parfait pour ce job.

L’intervention de Everett traversa l’épais brouillard de sa vie intérieure et Steve s’y arrima.

— Je ne sais pas. Vous êtes encore… fragile.

— Mais je suis aussi convaincu qu’il s’agit d’un meurtre. Je vous demande d’y réfléchir.

Il se leva et sortit une carte de visite de son portefeuille.

— Tenez.

— Everett, comme le chanteur ? dit-il en lisant le nom inscrit noir sur blanc.

— Oui.

Il y avait effectivement une ressemblance, bien que Benjamin soit moins chevelu.

— Aidez-moi, détective Marshall.

Après le départ de son potentiel client, Steve s’installa à l’accueil et entreprit des recherches sur l’ordinateur. Il tomba sur une multitude de liens et s’attaqua à la page Wikipédia de Dan Halden.

Nourri d’histoires plus racoleuses les unes que les autres, l’article expliquait son désintérêt. Seuls deux paragraphes valaient la peine de s’y attarder.

Le premier se penchait sur sa carrière professionnelle marquée du sceau de la télé-réalité. Après un scandale, Dan Halden avait obtenu une émission de télé-réalité intitulée « Halden Legacy ». Les téléspectateurs pouvaient suivre pas à pas sa vie trépidante de privilégié. Un véritable succès d’audience qui lui avait permis d’obtenir un poste de présentateur d’un programme dédié à l’actualité people.

Encore un carton. Ses admirateurs se comptaient par centaines de milliers.

Il avait su tirer profit de sa beauté californienne, regard azur, corps musclé et bronzé, et sourire ultrabright. Véritable icône de la nouvelle conception de la réussite, Dan Halden avait eu une vie de rêve.

Sa nécrologie reprenait les dires de Everett, mais la thèse de l’assassinat y apparaissait plus nuancée.

Qui aurait pu vouloir le tuer ? Y avait-il quelque chose à creuser ?

Everett paraissait si convaincu. Et si Dan Halden s’était tout simplement donné la mort ? Un désir de repos éternel ignoré par son entourage. Sa vie n’était peut-être pas si fantastique, si supportable. Il avait peut-être tout, mais il lui manquait quelque chose d’important.

En tout cas, ce n’était pas du cran. Car s’il avait souhaité sa mort, il était parvenu à se l’offrir. Steve salua son courage, le lui envia… Il étouffa cette idée comme la première fois où elle lui était apparue. Sa sœur ne l’aurait jamais permis. Pourtant tout aurait été plus facile.

Il se focalisa sur l’affaire qui éveillait son intérêt. Il devait avouer qu’il se lassait des tromperies, même si elles payaient les factures.

Il repensa à l’excitation de Cole en présence de Benjamin Everett. Il paraissait en savoir plus que lui. Ce serait peut-être une piste à explorer pour se faire un avis. Son désintérêt pour la vie des people ne pouvait être un motif de refus.

Mais l’idée de résoudre un homicide le ramenait à ses démons.

Chapitre 3

 

Bien qu’il ait encore l’air d’un étudiant, Steve fut surpris de découvrir que Cole habitait avec sa mère. Celle-ci lui avait offert de patienter autour d’un café. Selon elle, son fils serait de retour d’un moment à l’autre.

Il n’avait pas voulu la déranger, mais elle avait insisté.

Depuis maintenant un quart d’heure, elle ne tarissait pas d’éloges sur sa progéniture. Les différentes photos dans la pièce attestaient qu’il était sa plus grande fierté.

Son discours fit regretter à Steve sa conduite expéditive. Mais en tant que mère, elle ne devait pas être objective. Du moins, cette idée le rassurait. Car à l’écouter, il était passé à côté de la perle rare. Professionnellement.

— Vos biscuits à la vanille sont délicieux.

— Les préférés de Cole, dit-elle avant de regarder la pendule. Je pense qu’il ne devrait plus tarder. Le bus a souvent du retard.

Le salon ordonné offrait une atmosphère calme et paisible, à l’image de la maîtresse de maison. Un trait de caractère que Steve avait remarqué chez Cole. D’un point de vue physique, il lui ressemblait un peu, mais il ne pouvait dire s’il tenait aussi de son père. Il n’y avait aucune photographie de ce dernier étalée sur le buffet ou ailleurs.

La porte d’entrée s’ouvrit et Cole apparut dans son costume.

— Détective ?

Steve marqua un arrêt et oublia ces questions de filiation. La seule réponse qu’il avait sous les yeux, c’était que Cole était beau garçon.

— Je vois que vous avez fait connaissance avec ma mère.

— Une femme adorable et excellente pâtissière.

— Je ne peux pas dire le contraire. Qu’est-ce que vous faites là ?

Cole s’installa à la table de la salle à manger.

— J’ai repensé à ta proposition et j’aurais peut-être besoin de toi. Enfin, je veux dire de tes connaissances.

— À quel sujet ?

— Est-ce que je peux avant tout compter sur ta discrétion ?

— Évidemment, je suis juriste. La confidentialité, c’est mon métier.

— Je vais vous laisser, dit la mère de Cole en quittant le salon.

— Benjamin Everett souhaite que j’ouvre une enquête sur la disparition de Dan Halden.

— La police n’a-t-elle pas déjà établi son rapport ?

— Si, et c’est pour cette raison que j’hésite. Il est en deuil…

— Et vous avez peur qu’il n’ait pas les idées claires.

— Il semblerait que quelqu’un ait fait de brillantes études.

Cole sourit et Steve le trouva charmant. Une réaction qu’il condamna aussitôt intérieurement.

— Everett soutient que son meilleur ami a été assassiné.

— Meilleur ami ? C’est comme ça qu’il l’a présenté ?

— J’ai aussi dit « assassiné ».

— Personne n’est à l’abri d’un meurtre, encore moins une célébrité.

— Qu’est-ce qui te fait douter de son amitié ?

— Benjamin a toujours été amoureux de Dan. Ce n’est un secret pour personne.

— Vraiment ?

— La sextape en est la preuve. À moins de ne pas avoir été sur terre il y a cinq ans, tout le monde en a entendu parler.

— Je devais donc être dans une autre galaxie, railla Steve.

— Venez.

Tout comme le reste de la maison, la chambre de Cole était impeccablement rangée. Installé à son bureau, il raccorda un disque dur à son ordinateur.

— Je vais vous montrer la vidéo.

— La sextape ?

— Oui.

Steve n’avait pas besoin de la voir. Il le croyait sur parole.

— Elle n’est pas sur Internet ? demanda-t-il pour gagner du temps et éviter de la regarder en sa compagnie.

— Si, mais dans sa version censurée.

— Censurée ?

— Pas dans le sens courant du terme. La scène de sexe est bien présente, mais ce qui nous intéresse ici et qui a fait l’objet du véritable scandale, c’est ce qui précède.

— Tu m’intrigues.

— Regardez plutôt.

— Si vous voyez cette vidéo, dit Dan Halden, c’est que je suis mort.

Il partit d’un rire alcoolisé et but sa bière. Il éructa, sourit à la caméra et dégagea une mèche qui lui barrait le front.

— Putain de tignasse. Celle-ci, elle est pour toi Tommy, dit-il en brandissant la bouteille. Après ce soir, je ne t’ennuierai plus, je ne te ferai plus honte. Ton « moins que rien de frère » ne sera plus qu’un malheureux souvenir.

Dan marqua une pause.

— Je t’emmerde, sale con.

Il termina sa bière et la balança avant de fondre en larmes.

— On n’a pas tous un gros cerveau comme le tien, monsieur le médecin, dit-il en se reprenant. Mais par contre, j’ai une grosse bite. Tu veux la voir ? Tu l’as déjà vu, trouduc ! C’est peut-être pour ça que t’es jaloux.

Il rit à gorge déployée puis redevint sérieux. Un voile de tristesse couvrait son regard bleu.

— Pourquoi tu ne m’as jamais aimé pour ce que j’étais ? demanda-t-il, les yeux larmoyants. OK, je n’ai jamais été bon à l’école, mais ce n’est pas une raison pour dire tout le temps que je suis stupide. C’est vrai, je me fourre tout le temps dans des embrouilles, mais c’est de mon âge, mec ! J’ai vingt-six ans, j’aime faire la fête ! C’est la seule chose que je fais bien. Faut que tu t’y fasses, je ne serai jamais comme toi ou comme papa. Les têtes pensantes, c’est vous ! Moi, je t’ai toujours admiré pour ce que tu étais : le fils parfait. Celui qui a mis la barre si haut que je serai incapable de la dépasser ou de l’égaler. Pas faute d’avoir essayé.

Il pesta et reprit :

— Mais ce n’est jamais assez pour toi. Tu te prends pour qui, sérieux ? Pour mon père ? Spoiler alert : j’en ai déjà un, et il m’aime… Enfin je crois. À force de t’entendre dire que je suis la honte de la famille, il finira par ne plus m’aimer.

Une larme coula sur sa joue et il l’essuya avec hargne.

— Eh bien, rassure-toi « papa Tommy ». À partir de ce soir, tu n’entendras plus jamais parler de moi. Monsieur le chirurgien cardiaque de mes deux. Tu avoueras que c’est drôle pour quelqu’un qui n’a pas de cœur.

On frappa à la porte.

— Putain ! Vous savez pas lire ou quoi ? Y a marqué « Ne pas déranger », bordel ! Vraiment de la merde le service d’étage Halden. Cinq étoiles, mon cul ! Bouge pas, je vais voir c’est qui la grognasse qui veut me changer mes draps. Il est quelle heure ? 23 heures 27 ! Mais elle a vu l’heure, cette conne ! Bouge pas, je reviens, réitéra-t-il, l’index en l’air.

— Oh c’est toi ! s’exclama Dan. Entre, entre. J’ai pris un peu d’avance. Tu peux pas savoir comme je suis content de te voir. Je croyais que c’était une femme de ménage. La conne aurait gâché la fête.

— Je vois ça, dit Benjamin Everett en entrant dans le champ de la caméra. Qu’est-ce que tu célèbres ?

Dan se jeta à son cou et l’enlaça.

— Doucement. Tu devrais ralentir aussi sur l’alcool, cela ne fait pas bon ménage avec ton diabète et tu le sais très bien. Quand tu seras vieux, tu payeras ces excès. C’était la minute moralisatrice, conclut Benjamin en souriant. Tu peux retourner à ta fête privée.

— C’est toi qui vas me manquer le plus, avoua Dan en se blottissant contre lui.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Ce soir, je m’en vais ! dit-il en le lâchant.

— Ah bon ?

— Oui, pour de bon !

— Et où ça ?

— Là où je ne serai plus un fardeau, répondit-il en s’éloignant.

— Une destination ensoleillée ?

— Oui, inondée de lumière. Au fait, comment tu savais que j’étais là ?

— Tu m’as envoyé un texto pour me dire que tu t’étais encore disputé avec ton frère. J’ai appelé chez toi et on m’a dit que tu étais parti. J’en ai conclu que tu étais venu te réfugier ici. Comme à chaque fois.

— Ah ! fit Dan d’une voix traînante. Tu me connais vraiment par cœur.

— Je te connais depuis toujours.

— Mon ami d’enfance, mon ami d’adolescence, mon ami pour la vie. Dommage que la mienne s’arrête ici.

— Qu’est-ce que tu racontes ?

— Rien, répondit-il, tel un enfant espiègle.

— Dan ! Qu’est-ce que tu mijotes ?

— Rien, je te dis. Fiche-moi la paix !

Benjamin scruta la pièce et avança vers la table de chevet.

— Qu’est-ce que c’est que ça ? hurla-t-il, un tube entre les mains.

— C’est rien ! rétorqua Dan en se jetant sur lui afin de subtiliser le flacon.

Benjamin le poussa et il tomba à la renverse sur le lit.

— Des somnifères, ce n’est pas rien, Dan ! Qu’est-ce que tu comptais faire ?

— Rien.

— Tu me prends pour un débile ?

— Je ne suis pas comme Tommy, je ne prends personne pour des débiles. Surtout pas toi.

— Alors, dis-moi la vérité.

— J’ai envie de dormir… pour toujours.

— Mais tu es fou !

— J’ai jamais été plus sensé. Je ne manquerai à personne de toute manière.

Dan se leva et fit les cent pas.

— Tu as pensé à tes parents ?

— Ils ont d’autres enfants, bien plus brillants.

— Tu as pensé à moi ? demanda Benjamin en le rejoignant au pied du lit.

— Oui, répondit-il d’une faible voix. J’ai beaucoup pensé à toi. Tu m’as toujours aimé pour ce que j’étais. C’est pour ça que tu es le seul qui va me manquer.

Il accola son front à celui de Benjamin.

— Tu es mon frère, mon ami, tout ce qu’il me reste de bien dans la vie, dit-il avant de l’embrasser.

— Mais qu’est-ce que tu fais ? Tu es saoul, fit Benjamin en s’écartant.

— Pas suffisamment pour ne pas savoir ce que je fais.

Dan essaya à nouveau de l’embrasser, mais Benjamin résista, si bien que l’héritier le ceintura.

— Laisse-moi t’aimer avant de partir, Ben. C’est ce que tu as toujours voulu, que je t’aime comme tu m’aimes.

Il baisota son cou et renoua avec sa bouche.

— Tu es ivre, murmura Benjamin entre deux baisers.

— Est-ce qu’une personne alcoolisée pourrait faire ça ?

Dan récita la table de cinq et vola des baisers à chaque bonne réponse. L’exercice entraîna des rires complices qui se prolongèrent par des caresses prononcées.

Dan débarrassa Benjamin de son tee-shirt et couvrit son buste de baisers jusqu’à atteindre la région sud de son nombril. Il défit sa ceinture, déboutonna son jean et avala l’appendice dressé de son ami.

— Il y a autre chose à voir ? demanda Steve alors que le film virait au porno.

— Non, à partir de là, ils ne parlent plus vraiment.

— D’accord, fit-il, ses avant-bras posés en travers de son bassin.

— Vous désirez une copie ?

— Oui, je veux pouvoir noter ce qu’il dit.

— Je vais la mettre sur une clé.

Cole inséra l’objet dans la tour placée sous le bureau et il effleura la jambe de Steve. Le détective se décala et se concentra sur la barre à l’écran pour oublier celle qui boursouflait son pantalon. Il aurait mieux fait de porter un slip plutôt qu’un caleçon !

— Tenez.

— Merci. Je te tiens au courant. Ne me raccompagne pas, je connais le chemin, dit-il avant de déguerpir.

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