À tous ceux qui ont lutté, luttent et lutteront toujours pour leur Amour.
Hadda
En ces temps où les destinées des Hommes et des Dieux s’entrelaçaient, où Midgard n’était qu’un royaume parmi neuf suspendus aux racines d’Yggdrasil, trônait Asgard, cité des Dieux Ases et protectrice des Neuf.
Nul ne pouvait échapper à sa justice. Nul ne pouvait se dissimuler à sa vue. Car Heimdall, Veilleur des Dieux, ne dormait jamais. Et rien, du monde des morts de l’Helheim au royaume des Elfes d’Alfheim, des guerres immémoriales opposant les Ases aux Géants de Jötunheim, ne lui était étranger.
Il savait tout. Il voyait tout.
À l’exception d’une chose.
L’avenir.
Un avenir multiple qui transforma l’Arbre Monde pour toujours.
Hluti 1
Le pacte
L’oiseau en cage fit un bruit tel que l’enfant sursauta. Contrarié, il se pencha vers son nouveau compagnon.
— Toi rester sage ! Sinon papa va savoir.
Les yeux du volatile se rétrécirent et il s’agita de plus belle, faisant basculer sa prison au sol.
Agacé, le garçon ramassa la cage. Ce qu’il vit alors le subjugua. En lieu et place de l’espèce rare qu’il avait capturée, un nuage de feu.
Cela ne dura que le temps d’un battement de cils.
Lorsque l’oiseau réapparut, il n’y avait plus trace dans ses yeux que de la panique la plus frappante.
— Encore !
Excité, l’enfant secoua la cage avec une telle violence que son occupant perdit connaissance.
— Méchant oiseau ! Dors pas !
Le garçon ballotta de nouveau le volatile en tous sens. En vain.
Boudeur, il reposa la cage sur son lit avec force. Les murs en tremblèrent.
Mais ce qui au départ n’était qu’une faible secousse gagna en intensité. Bientôt, le sol rocailleux et les parois de la caverne bourdonnèrent, des fissures apparurent, des pierres s’écroulèrent.
Apeuré, le petit hurla. Mais nul ne l’entendit, sa voix recouverte par un grondement de tonnerre si puissant qu’un trou se creusa dans la cavité vieille de plusieurs millénaires.
L’instant suivant, un homme de haute stature, musclé, de longs cheveux blonds noués en tresses, portant armure et marteau court, se tenait devant lui.
Thor, Dieu du tonnerre, de la force, du combat et de la fertilité, abaissa Mjöllnir, intrigué. L’idée qu’Heimdall ait pu se tromper l’effleura un instant. Mais, Odin en soit remercié, le Veilleur n’en saurait rien.
Le Dieu balaya la pièce du regard, laissant à l’enfant le soin de recouvrer ses esprits et ses réflexes. Le premier d’entre eux fut de récupérer la cage qui avait de nouveau chu au sol.
Thor soupira, mais ne rengaina pas son marteau. Le garçon qu’il avait sous les yeux ne devait pas être seul. Et vu sa taille, il n’avait aucune envie de rencontrer le reste de la famille. Alors, puisant dans ses dernières parcelles de patience du jour, il se força à sourire.
Le résultat ne fut pas celui escompté. De peur, l’enfant souleva son lit de roches d’une main et l’abattit sur l’importun visiteur.
Un grognement accueillit cet éboulement imprévu, bien vite suivi d’une explosion. Le lit n’était plus. De même que le sourire du Dieu.
— Donne-moi cette cage.
Ce ton, personne ne l’avait jamais défié. Parce que tout le monde connaissait le mauvais caractère du fils d’Odin et ce qu’il pouvait déclencher.
Tout le monde à l’exception des enfants Géants, trop jeunes encore pour comprendre les règles régentant les neuf royaumes. Ainsi, plutôt que d’obtempérer, l’enfant appela son père.
Une fois suffit pour que le sol tremble de nouveau.
La main de Thor se resserra sur le manche de Mjöllnir, ses yeux courant du Jötunn à la cage. La tentation était grande de laisser cet imbécile d’oiseau à son triste sort. Très grande. Mais Odin demanderait des explications, et ça… mieux valait l’éviter. Le Dieu inspira, appelant à lui toute sa bienveillance, et réitéra sa demande.
— Donne-moi cette cage, s’il te plaît.
— Non !
— Tu ne sais pas ce qu’elle contient.
— Un oiseau.
— Non.
— Ah oui ? Alors c’est quoi ?!
— Un Dieu, idiot.
L’enfant fronça les sourcils, plissa les yeux et scruta l’intérieur de la cage. Il était peut-être jeune, mais il savait ce qu’il voyait.
— Pas vrai !
Le sol tremblait à présent fortement. Les pas du père se rapprochaient. Thor perdait patience.
— Il s’est transformé. Tu l’as capturé. Maintenant, il faut le rendre.
Les larmes affluèrent. Le Dieu se sentit mal à l’aise.
— Je t’apporterai un autre oiseau, encore plus beau que celui-ci. Et moins bête.
Le fils de Géant serra la cage contre lui. C’était son trésor. Et un trésor, ça ne s’échangeait pas.
— Non !
— Bien.
D’un coup de poignet, le Dieu du tonnerre fit tournoyer son marteau, demandant en silence à Odin sa clémence pour son geste cruel, mais nécessaire.
Mjöllnir fendit l’air et atteignit l’enfant en pleine mâchoire, lui délogeant quelques dents, sous les yeux furieux de son père qui venait d’apparaître.
D’un geste vengeur, le Géant abattit son poing sur Thor, qui l’esquiva d’un bond, rappelant son arme à sa main.
La cage, qui avait volé dans les airs, se trouvait maintenant aux pieds du Jötunn adulte.
— Cousin, aurais-tu l’amabilité de me rendre cette cage ?
Estomaqué par l’assurance du Dieu, le Géant s’empourpra.
— Ta mère, notre sœur, Jörd entendra parler de ce que tu as fait. Et la colère d’Odin s’abattra sur toi. Tu n’es pas au-dessus des Lois, fils croisé.
Thor resserra son emprise sur Mjöllnir, faisant blanchir ses jointures. Il préférait une remontrance à autre chose de bien pire s’il ne ramenait pas cet oiseau de malheur.
— J’assumerai mes actes. Mais es-tu prêt à assumer les tiens ?
— De quoi parles-tu ?
— Sais-tu qui est dans cette cage ?
Le regard du Géant passa du Dieu au volatile inconscient à ses pieds. Le doute s’insinua dans son esprit. Cet Ase avait-il toute sa tête ?
— Eh bien, en voilà une question. Un oiseau.
— Un Dieu transformé. Un des vôtres.
La surprise, puis la terreur passèrent dans les yeux du Jötunn. Il s’empressa d’ouvrir la cage et de déposer délicatement l’oiseau dans les mains de Thor. Les vagissements de l’enfant, qui ne s’étaient pas taris depuis le coup fulgurant du marteau, s’amplifièrent.
— Silence ! lui intima son père. Et toi, grand Thor, fils du Père de toute chose, pardonne-lui. Il ne sait encore rien.
— Eh bien, instruis-le ! Pour son bien et celui des tiens.
Le Géant acquiesça. Le Dieu déposa l’oiseau au fond de sa poche, prit son marteau, le fit tournoyer une nouvelle fois et, sans un regard, décolla vers les cieux où le tonnerre grondait toujours.
***
Le soir venu, aucun sermon. Aucune remontrance. Thor devrait attendre le lendemain, lorsque les corbeaux de son père auraient fini de parcourir les neuf royaumes pour lui murmurer à l’oreille ce qu’ils auraient vu et entendu, pour se faire rappeler à l’ordre.
Non, ce soir, Odin, encore ignorant des faits, était en joie : son fils avait ramené sain et sauf son frère de sang.
Et cet exploit valait bien un fastueux banquet !
Lorsque le Dieu du combat pénétra dans l’immense salle où se trouvaient déjà attablés tous les Dieux et Déesses que pouvait compter Asgard, une liesse générale le cueillit au rythme des talons frappant le sol marbré et des chopes d’hydromel percutant les tables en chêne sculpté.
Euphoriques, les Ases entamèrent un chant guerrier qui suivit Thor jusqu’à ce qu’il prenne place entre ses frères.
Un seul convive garda le silence.
Grand, svelte, les cheveux noirs et lisses comme les plumes d’un corbeau, le regard aussi vert qu’une émeraude, Loki, Dieu Géant de la ruse, des métamorphoses et de la discorde, ne bronchait pas. Ce festin avait pour lui le goût de l’humiliation. Et son instinct lui soufflait que les réjouissances n’avaient pas encore atteint leur paroxysme.
Son instinct ne le trompa pas.
Ce fut Irmin, Dieu de la guerre, qui engagea les hostilités. Après avoir félicité Thor pour sa bravoure, il s’adressa à Loki :
— Dis-moi, fils de Laufey, comment te portes-tu depuis ta libération des griffes du terrible enfant Géant ?
Sans surprise, des rires accueillirent cette pique. Prenant son temps pour savourer une gorgée d’hydromel, Loki se tourna pour faire face à l’Ase, un sourire tranquille aux lèvres.
— Ma foi, bien. Merci de t’en soucier.
Et le Dieu Géant de lever poliment sa coupe en direction de son interlocuteur, qui se retrouva désappointé. Son essence divine étant ce qu’elle était, Irmin revint aussitôt à la charge.
— Es-tu sûr que ta tête ne te fait pas trop souffrir ? Je me suis laissé dire que ce petit garçon t’avait violemment secoué contre de solides piques à dents !
Les Dieux s’esclaffèrent. Loki, lui, ne montra pas la moindre contrariété.
— J’en suis sûr.
Les rires se tarirent. Il devenait évident que la frustration d’Irmin croissait et que, dans cette hypothèse-là, mieux valait faire profil bas. Ce qui n’était pas dans la nature du Dieu de la discorde.
Néanmoins ravis d’avoir un peu d’action, les Ases prirent leurs coupes, s’adossèrent confortablement à leurs sièges et suivirent la joute verbale avec un regain d’intérêt.
Seul Thor semblait nerveux. Lui, mieux que quiconque, sauf Odin peut-être, connaissait Loki. Cette engeance Jötunn qui avait été acceptée sur Asgard il y a de cela si longtemps. Ce sourire en coin qui rehaussait ses lèvres charnues, promptes à souffler des mots traîtres et des vérités blessantes, ne pouvait dissimuler qu’une seule chose : une ruse. Savoureuse, à en croire le calme apparent du fils de Laufey. Le Dieu du tonnerre frissonna malgré lui lorsque les yeux verts de Loki croisèrent les siens et que son sourire s’accentua.
— À ma décharge, cette cage a été élaborée par le Nain Eitri. La magie de ses barreaux en aurait arrêté plus d’un.
— Pas un vrai Dieu en tout cas, lâcha Irmin, goguenard. Mais tu n’y peux rien. Après tout, tu n’es pas un Ase.
Une lueur de malice irradia les pupilles de Loki. Thor se raidit.
— Penses-tu, Irmin, que les pouvoirs des Ases soient illimités ?
— Je ne le pense pas. Je l’affirme.
— Bien. Prouve-le, alors.
Des murmures emplirent la salle. Comment prouver une telle chose ? Les Dieux étaient ce qu’ils étaient. Leur essence divine coulait dans leurs veines. Ils n’avaient pas à prouver leurs pouvoirs, comme ils n’avaient pas à prouver la couleur de leurs cheveux ou celle de leurs yeux.
— Tu déraisonnes. C’est comme demander de prouver l’existence du pont arc-en-ciel !
Les rires ricochèrent de nouveau entre les murs de la salle.
— Je ne te demande pas de prouver les pouvoirs des Ases. Juste de prouver qu’ils sont illimités.
Cette fois, Irmin s’emporta.
— Je suis la Guerre ! Il suffit que j’y pense et elle éclate. J’arrive au milieu d’un champ de bataille sur lequel les belligérants sont prêts à déposer les armes et le conflit reprend de plus belle. J’apparais et les affrontements font rage jusqu’à ce que je me lasse ! Que veux-tu de plus ?!
Loki hocha gravement la tête, mais déjà les Dieux l’oubliaient, se complaisant à énumérer leurs pouvoirs et à vanter leur toute-puissance. Dieux de la lune et de la justice, Déesses du soleil et de la connaissance, tous et toutes rivalisèrent d’autosatisfaction pour finalement s’accorder à qualifier la demande de Loki d’inepte.
— Je vous ai tous entendus.
La voix glaciale du Dieu Géant réduisit l’assemblée au silence.
— Sauf toi.
Loki dirigea son regard vers Thor.
— Eh bien, tu as entendu Irmin, murmura le fils d’Odin d’un air las. Ta demande est injustifiée.
— Crois-tu ?
Le regard du Dieu de la ruse brilla d’une malice sauvage. Thor plongea le sien dans sa coupe d’hydromel avant d’en boire une longue gorgée. Il était piégé. Il ne savait simplement pas encore comment.
— Assez, fils de Laufey, tonna Irmin. Tu te ridiculises. Une fois de plus.
Les rires fusèrent, encore et toujours, légers, moqueurs.
Mais stoppèrent sitôt que Loki prononça ces quelques mots, sur le ton de la conversation :
— J’affirme que Thor n’est pas un vrai Ase.
Les membres de l’assemblée se levèrent d’un même bond. Déesse de la paix, Dieu de la guerre, Déesse des tempêtes, Dieu de la poésie…
Quel que soit leur feu divin, ils faisaient bloc. Car nul être ne pouvait insulter un Ase sans en subir les conséquences.
La main de Thor broya sa coupe. Un grondement, pareil au tonnerre, s’éleva de sa gorge.
— Répète, si tu l’oses.
— Je vais faire mieux que ça. Je vais reformuler, sourit aimablement Loki. Tous affirment que les pouvoirs des Ases sont illimités. J’ai entendu leurs arguments. Ils sont sensés. Je ne fais donc que les suivre en affirmant qu’au regard de tes dons, tu n’es pas un Ase.
Odin, qui, jusque-là, n’avait pas pris part au débat, se leva de son siège. Le brouhaha indigné cessa aussitôt.
— Cela suffit. Laissons là ces querelles. Le jour se couche. Mon frère, tu nous es revenu sain et sauf par la grâce de Thor, mon fils. Maudits soient les Nains d’avoir forgé une telle cage ! Nul n’aurait pu en sortir, je l’affirme. Il n’y a là ni faute à pointer du doigt ni haine à avoir. Au contraire, soyons reconnaissants.
Bouillonnant de rage, Irmin jeta un regard mauvais à Loki.
— Tu passes donc sur l’insulte, Père de tout ?!
Odin soupira.
— Ce n’est pas à moi d’en décider. Thor, parle.
Le Dieu du combat se leva et toisa Loki.
— C’est comme ça que tu remercies celui qui t’a délivré des mains des Géants ?
— J’ai remercié mon sauveur. Mais toute cette conversation m’a donné de quoi réfléchir et j’avoue ne pas croire à l’étendue illimitée de certains de tes dons. Et, si je suis les pensées d’Irmin…
— Nous avons tous compris, inutile de revenir dessus. Finissons ces enfantillages, qui ne sont là que pour masquer ton humiliation, et venons-en au fait.
Toute trace d’amusement déserta les traits de Loki. Autant les attaques des autres l’avaient laissé de marbre, et même diverti, autant celles de Thor parvenaient à l’atteindre.
Vexé, blessé, agacé de le laisser avoir autant de prise sur lui, le Dieu de la discorde contre-attaqua de toute sa fourberie :
— Je te lance un défi.
Le prince d’Asgard soupira et se rassit.
— Nous savons tous comment se terminent tes défis. Finalement, quelqu’un sera obligé de venir te sauver.
Les autres Dieux se détendirent quelque peu et se rassirent à leur tour.
— Est-ce vraiment de la lassitude que je lis dans tes yeux, puissant Thor ? Ou n’est-ce qu’un subterfuge visant à masquer ta peur ?
Le Dieu du combat lança sa coupe à travers la salle et bondit sur le Dieu Géant.
— J’ai enfanté le Courage, la Force et la Vigueur, cracha-t-il en enserrant la gorge de son adversaire. Ne viens pas me parler de peur !
— Alors tu ne verras aucun inconvénient à relever mon défi. Je te promets que personne n’aura à secourir personne.
Le regard transparent de Loki le troubla un instant. Mal à l’aise, le prince desserra son emprise.
— Parle.
Le Dieu de la malice balaya la foule du regard.
— Thor, tu es le Dieu du tonnerre. Personne ne le conteste. Comme l’a fait valoir Irmin, tu es le Tonnerre. Nul besoin de tergiverser. Mais qu’en est-il de la Force, du Combat et de la Fertilité ?
— Thor a déjà prouvé sa force ! rugit Forseti, Dieu de la justice. Ne te souviens-tu pas lorsque le Géant Utgardaloki vous a trompés, toi, Thor et Thjalfi ? Tu as échoué à manger plus que le Feu, Thjalfi a failli à courir plus vite que la Pensée, mais Thor a fait des miracles ! Il n’a ployé qu’un genou sous la Vieillesse et a même réussi à lever la queue du Jörmungand, ton engeance reptilienne entourant le royaume des Hommes. Que te faut-il de plus pour prouver sa force ?
Des cris d’assentiment fusèrent.
— Admettons que même les plus puissants des Dieux ne puissent rien contre les Forces qui régissent les neuf royaumes, concéda Loki. Mais qu’en est-il des deux derniers dons ?
— J’ai une autre question pour toi, siffla Thor. Quel est l’enjeu de ton défi ?
Le regard du Dieu de la ruse se durcit.
— Si je gagne, tu m’élèveras une statue au côté des vôtres.
Un rictus dessina les lèvres de Thor. Il le savait. Toute cette mascarade ne servait qu’à venger Loki de son humiliation.
— Et si je gagne ? demanda le fil d’Odin.
— Si tu gagnes, je te ferai don de tous mes pouvoirs et m’exilerai sur Midgard, où je mourrai en mortel.
Un silence éloquent accueillit ses paroles. Les Ases s’observaient sans oser prononcer un mot. Tous connaissaient l’attachement de Loki à ses pouvoirs. Il ne s’en déferait pas facilement.
Sa chute, car chute il y aurait, n’en serait que plus savoureuse.
Et enfin, Asgard serait débarrassée de lui.
Quant à Thor, il considérait son adversaire avec un mélange de méfiance et de convoitise. Ces pouvoirs lui faisaient envie depuis toujours. Les compter parmi ses dons le motivait plus qu’aucun combat.
— Vor !
La Déesse des serments se leva à l’appel du Dieu du tonnerre.
— Faisons ça dans les règles, murmura Thor à la seule adresse de Loki. L’enjeu est trop important.
— J’en conviens.
Vor s’approcha des deux rivaux.
— Placez vos bras.
Thor et Loki s’empoignèrent par l’avant-bras. La prise chaude et virile du premier rencontra celle fine, mais ferme, du second.
— Que les Dieux en soient témoins. Ici et maintenant, Thor, fils d’Odin et de Jörd, et Loki, fils de Laufey et de Farbauti, prêtent serment ! Les termes ont été clairement énoncés. Dieux, consentez-vous ?
— Je consens, tonna Thor.
— Je consens, sourit Loki.
— Qu’il en soit ainsi !
Une corde d’or serpenta autour des avant-bras des deux Dieux, scintilla, puis disparut sans laisser de traces.
Thor s’empressa de se soustraire à l’étreinte de Loki.
— Beyla ! appela le Dieu du combat. Fais couler ton hydromel ! Nous avons un prochain départ à fêter !
La bonne humeur revint parmi les Dieux, aussi vite que leurs coupes furent remplies.
Seul le Dieu de la ruse ne goûta pas à l’ivresse, ses yeux fixés sur son avant-bras qu’il effleura. Un sourire malicieux aux lèvres.
Hluti 2
La prophétie
Ce ne fut qu’aux premières lueurs du jour que Thor regagna ses appartements, où l’attendait son épouse, Sif.
Bien qu’enivré, le Dieu se fit le plus discret possible pour ne pas la réveiller et se glissa dans leur lit sans un bruit.
Du moins le crut-il.
— Je vois que la fête a été bonne, murmura la Déesse en se retournant.
Thor la fixa un instant. Sa beauté était légendaire, ils vivaient ensemble depuis plus longtemps que trois générations d’Hommes, et pourtant, une œillade de sa part et il la désirait. Comme maintenant.
Ses gestes rendus un peu brusques par l’hydromel, le Dieu se rapprocha de sa femme pour l’embrasser, ses mains courant déjà sur son corps.
Sif l’arrêta en prenant son visage en coupe.
— Comment s’est terminée la soirée ?
Le regard de Thor se voila un instant au souvenir du Dieu Géant ne le quittant pas des yeux. Cette sensation lui avait été pénible au début, mais, l’hydromel aidant, il n’y avait finalement plus prêté attention.
— Mieux qu’elle n’avait commencé, se contenta-t-il de répondre.
— J’ai hâte que ce défi absurde se termine. Plus tôt tu auras triomphé, plus tôt nous serons débarrassés de lui.
Le Dieu du tonnerre acquiesça et posa son front contre celui de sa compagne. Le souffle calme de Sif se transforma peu à peu pour devenir plus saccadé. Son corps s’arqua subitement. Thor se détacha, les traits tendus. Lorsqu’elle était en transe, sa femme pouvait se montrer violente. Cela dépendait de l’intensité de sa vision.
Bientôt, une voix, sortie d’un autre temps, emplit la pièce, dégrisant le Dieu sur-le-champ.
— Quand Ruse et Force se lieront,
L’une et l’autre perdront plus que de raison.
L’Arbre rongé depuis l’aube des temps tanguera,
Le Dragon rampera vers sa proie.
De l’issue du combat entre Amour et Oubli
Dépendra la survie des Neuf ou leur agonie.
Le corps de la Déesse retomba lourdement.
Le visage fermé, Thor se leva pour lui appliquer un linge frais sur le front.
Leurs regards se croisèrent.
— Retourne voir Vor, souffla Sif, reprenant peu à peu sa respiration. Annule le serment.
Le fils d’Odin grogna, pensif.
— Loki est rusé, mais il ne peut transcender les termes d’un serment. Et ces termes sont clairs. Je gagne, il disparaît.
— Mais si tu perds…
— Je ne perdrai pas !
— Thor, tu es fort, presque invincible. Mais tu ne peux lire l’avenir. En tant que Dieu du combat, tu te dois d’envisager toutes les possibilités avant de te lancer dans la bataille. Il en va de même pour ce défi. Si tu devais perdre, tu serais dans l’obligation de lui édifier cette statue.
Sif marqua un temps avant de murmurer sa pensée :
— Ne vaudrait-il pas mieux lui construire sa statue dès maintenant et annuler ce serment ?
Le Dieu reposa le linge et fixa intensément sa femme.
— Tu ne sais pas ce que tu me demandes ! Outre le fait que cette statue serait une offense à notre peuple, il m’a insulté ! Non seulement je gagnerai, mais je prendrai plaisir à l’humilier. Et ce plaisir, personne ne m’en privera ! Pas même la plus belle des Déesses.
Sif ouvrit la bouche pour protester, mais son époux fut plus rapide et scella leurs lèvres. Le corps chaud et massif du Dieu plaqua celui, plus frêle, de la prophétesse, son membre durci par l’envie et la colère trouvant rapidement l’entrée de sa féminité.
En prenant le corps de sa Déesse, Thor songea que si Loki le surprenait maintenant, il ne douterait plus de son don de fertilité.
Cette pensée attisa son ardeur.
Hluti 3
Le Dieu du combat
Lorsqu’il sentit la paroi de glace lui labourer le dos, Thor se dit qu’une fois ce Géant mis hors d’état de nuire, il s’occuperait de ce fourbe de Loki. Après tout, rien dans le serment n’interdisait une petite explication entre deux épreuves.
Le Dieu de la sournoiserie pencha la tête de côté et plissa les yeux. Cela s’annonçait mal pour son rival. Il soupira de dépit. Il n’aurait peut-être pas l’occasion de pousser plus loin sa malice… Il s’en faisait pourtant une telle joie… Tant pis. Au moins aurait-il le plaisir de voir sa statue élevée plus tôt que prévu.
Thrudgelmir hurla avec tant de haine que son palais de glace vibra à en décrocher trois stalactites plus vieilles qu’Odin.
— Loki, fils de Laufey, comment te remercier ?!
Le Géant de glace s’approcha à pas lourds du Dieu qui patientait.
— Tu me remercies déjà, crois-moi.
Devant l’air intrigué du Jötunn, Loki se fit un devoir d’expliquer succinctement sa démarche :
— Je t’ai amené le fils d’Odin pour que tu te venges du Père de tout, qui a dépecé Ymir, ton géniteur. En échange, tu me prouves, ainsi qu’à tous les Ases, que le don de combat de Thor n’est pas illimité. Nous serons quittes.
— Quittes ?!
La voix caverneuse fit de nouveau trembler les murs.
— Nous ne serons quittes que lorsque j’aurai dépecé cet Ase vaniteux !
Sur ce, Thrudgelmir saisit le pied de Thor et commença à le malmener, le faisant buter contre les parois, le sol, le plafond. Chaque coup entaillant un peu plus le corps déjà meurtri du Dieu du tonnerre. Lorsqu’enfin le Géant lâcha prise, sa victime crachait du sang. Ce qui ne l’empêcha pas de se relever, sans montrer le moindre signe de fatigue. Bien au contraire : son regard noir vibrait d’un désir de se battre plus ardent que jamais. D’une main, il s’empara de Mjöllnir et le fit tournoyer.
— Je ne veux pas te tuer, gronda Thor. Juste prouver à cette engeance que mes pouvoirs sont illimités.
Pour toute réponse, Thrudgelmir poussa un hurlement et se jeta sur Thor, qui l’accueillit d’un coup de marteau. Le Géant traversa une paroi de glace, puis une autre.
C’en fut trop pour le palais, qui commença à s’effriter.
— En as-tu assez vu, Loki ?! s’exclama le fils d’Odin sans s’émouvoir des pans de glace qui s’effondraient autour d’eux.
De mauvaise grâce, le Dieu Géant acquiesça.
— Alors, allons-nous-en.
Loki ferma les yeux pour préparer sa métamorphose. Au même instant, le sol se souleva sous le poids des roches qui s’effondraient, le projetant lourdement contre son rival.
Sonnés, les deux Dieux s’observèrent un moment, leurs souffles se mêlant, leurs lèvres se frôlant.
Thor réagit le premier en repoussant violemment son adversaire. Puis, sans attendre, il bondit et fendit les Cieux en direction d’Asgard.
***
Le retour du héros se fit sous les acclamations. Mais le prince ne les goûta que distraitement, son esprit obnubilé par les récents évènements. Il s’était brièvement retrouvé à la merci de Thrudgelmir, et pourtant, cela n’avait pas eu l’air de convenir à Loki. Or, si telle avait été la véritable motivation de toute cette mascarade, sa mort, bien que fort peu probable, aurait pu passer pour accidentelle. Ce n’était donc pas sa fin que ce traître espérait.
Et c’était bien ce qui le préoccupait.
Ça et le souvenir de leur proximité inattendue.
Balder, Dieu de la lumière, éructa de plaisir :
— Plus qu’une épreuve, mon frère, et nous serons débarrassés de ce parasite !
Thor acquiesça et leva sa coupe d’hydromel. Mais même le breuvage divin n’y put rien. Les images du jour ne cessaient de le hanter. Il chercha instinctivement des yeux Loki, mais celui-ci demeurait introuvable. À son grand soulagement.
Lorsque Hermod, Dieu messager, vint le trouver, il fut forcé de se ressaisir. Odin le mandait. Et il en connaissait la raison.
Le sermon fut bref et laissa rapidement place à la fierté d’un père face à la réussite de son fils.
— Eh bien, pourquoi cet air sombre ? demanda le Père de tout.
Thor masqua son trouble par une autre question :
— Père, serez-vous triste lorsque le Dieu Géant devra quitter notre cité ?
Odin prit le temps de la réflexion.
— Ce qui me lie à Loki est un serment consacré par le sang. Il est mon frère et le restera. Ici ou ailleurs. Mais je dois à Asgard de la protéger, et si cela doit passer par une séparation physique d’avec Loki, je l’accepte.
— Il deviendra mortel, insista Thor.
— C’est son choix. C’est lui-même qui a établi les termes de votre accord. Cela m’attriste. Au plus haut point. Mais Heimdall gardera un œil sur lui. Je veillerai sur lui.
Le Dieu du combat glissa un regard vers Frigga, prophétesse et première épouse d’Odin, trônant à ses côtés. Celle-ci détourna les yeux. Elle savait des choses. Des choses qui échappaient aux autres. Et tous l’acceptaient.
Même si, maintenant, Thor aurait donné cher pour lire dans ses pensées.
***
Ce soir-là, lorsque le fils d’Odin rejoignit sa compagne dans le lit conjugal, le souvenir des évènements s’était presque estompé. La fête et la joie, maîtresses du cœur des Ases, avaient réussi à s’emparer de celui du Dieu guerrier. Et lorsque Sif posa une main sur son bras, cherchant dans son regard des réponses à cette première journée, il sourit, fier de lui.
— Les voix t’ont soufflé une prophétie inexacte. Personne ne perdra, à part ce fourbe. Et je ne vois pas en quoi cela posera un quelconque problème.
Mais la Déesse, loin de partager sa liesse, se détourna. Thor se rembrunit.
— Tu ne me crois pas ? gronda-t-il.
— Toi non plus, soupira Sif, agacée.
Le Dieu se releva et enleva sa tunique. Ils pouvaient avoir des conversations épineuses, mais une chose les réconciliait toujours. Quand il s’étendit de nouveau près de sa femme, il glissa une main sous le voile dissimulant ses courbes et caressa sa poitrine. Sif soupira pour montrer son irritation et masquer son plaisir. Loin de se laisser abattre, Thor tenta une autre approche, cette fois en insinuant ses doigts entre les cuisses de la Déesse.
— S’il te plaît, ne gâche pas cette soirée. Fais honneur au héros d’Asgard comme toi seule en es capable.
Un fin sourire étira les lèvres de Sif. Son mari pouvait être têtu et agaçant. Mais si elle avait appris une chose des prophéties, c’était que nul ne pouvait aller à leur encontre. Alors, au lieu d’avoir peur de ce qui allait arriver, elle décida de jouir de ce qu’elle possédait maintenant : le Dieu le plus endurant d’Asgard. Elle se retourna, écarta les cuisses et ferma les yeux lorsqu’elle sentit son rostre, tendu de désir, pénétrer sa féminité.
Thor gronda et l’embrassa fiévreusement, décuplant le plaisir de la Déesse. Mais lorsqu’il ferma les yeux, savourant la chaleur de sa compagne, une image, fugace, traversa son esprit.
Celle d’un Dieu à la chevelure de corbeau.
Son membre durcit plus encore. L’incompréhension se le disputa un instant à l’excitation, mais ce fut cette dernière qui l’emporta lorsque les gémissements de Sif commencèrent à emplir la chambre.
***
Le jour suivant, nul ne comprit les raisons de l’assombrissement du caractère du prince. Les derniers évènements lui avaient souri, Loki était en passe de finir sa triste existence dans le monde des Hommes et les neuf royaumes ne s’étaient jamais aussi bien portés. Alors pourquoi s’était-il enfermé dans ses appartements ?
Seule Snotra, Déesse de la sagesse et servante de Frigga, en sut plus que les autres. Thor vint la trouver à la tombée du jour, les traits tirés, en proie à un malaise évident. Pour autant, il ne parla pas tout de suite et Snotra ne le bouscula pas. Elle le connaissait depuis ses jeunes années, l’avait aidé à se canaliser et savait d’expérience que rien ne le braquait plus que lorsqu’on tentait de lui soutirer des informations. Alors, patiente, elle attendit.
Ce ne fut que lorsque le Dieu s’assit lourdement sur sa natte qu’elle sut qu’il allait parler.
— Comment se débarrasser de ses pensées ?
La question prit Snotra de court. Thor, qu’elle considérait encore jusqu’à peu comme un jeune homme insouciant, prompt à dégainer son marteau, avait mûri sans qu’elle s’en aperçoive. Elle s’assit à ses côtés.
— En les affrontant.
Thor tourna vers elle un regard las.
— Et si on ne le peut pas ?
— Pouvoir n’est pas vouloir.
— Tu es la deuxième personne à oser insinuer que j’ai peur, gronda le Dieu en toisant la servante d’un œil noir.
— Ai-je parlé de peur ?
— Tu dis que je ne veux pas affronter mes pensées ! Celui qui se dérobe est un lâche !
— Ou un égaré.
Thor fronça les sourcils et se détourna, pensif.
— Veux-tu me faire part de ce qui te préoccupe ? Je pourrai mieux t’éclairer.
Le fils d’Odin secoua la tête.
— Ces pensées sont-elles contraires aux Lois ?
Un silence, épais, puis :
— Je ne sais pas. Elles ne me correspondent pas, voilà tout.
Snotra sut qu’elle bataillait contre le vent. Résignée, elle lui délivra ce que la Sagesse lui soufflait :
— Les mots et les images qui nous viennent font partie de nous. Les renier, c’est aller contre sa nature. Et donc renier les Lois.
Thor se leva, agité.
— Merci pour tes conseils. Ma victoire d’hier et les fêtes à répétition me brouillaient l’esprit. J’y vois plus clair maintenant !
Le Dieu du tonnerre salua la servante et sortit à grands pas.
Oui, c’était sans nul doute l’excitation de sa victoire récente, alliée à la perspective de débarrasser Asgard de ce Dieu méprisable, qui lui avait permis de pousser aussi loin ses talents d’amant la nuit passée. Rien d’autre !
Rasséréné par cette certitude, Thor rejoignit ses compagnons d’armes, bien décidé à profiter de la soirée.
Hluti 4
Le Dieu de la fertilité
À peine Mani, Dieu de la lune, disparu, poursuivi par le loup Hati, sa sœur Sol prit la relève, levant sur la cité d’Asgard une aube nouvelle et resplendissante. Parfaite pour accueillir la dernière épreuve.
Loki, qui n’avait pas reparu depuis la victoire de son adversaire, vexé par le long sermon qu’Odin lui avait asséné en privé sur son inconscience, semblait plus que jamais déterminé, ses yeux étincelant d’un succès qu’il savourait déjà. Sa statue serait édifiée et Thor serait humilié.
Oui, la journée s’annonçait parfaite.
Vor présida à la seconde épreuve comme elle avait présidé à la première. En retrait, mais veillant à ce que les termes du serment soient scrupuleusement respectés.
Autour des deux rivaux, un silence de mort. C’était maintenant que tout allait se jouer.
— Eh bien, Loki ? fanfaronna Thor. Que me proposes-tu pour prouver l’étendue infinie de mon dernier don ? Veux-tu que je fasse pousser les plantes d’Asgard d’un souffle, ou peut-être souhaites-tu que je nage dans l’océan et fertilise les espèces marines d’une pensée ?
Des rires fugaces percèrent le silence pesant. Tous se demandaient par quelle pirouette le Dieu de la malice réussirait à s’en sortir.
— Es-tu en train d’affirmer que tu peux fertiliser tout ce qui existe ?
— Dans les limites des Lois présidant aux neuf royaumes, oui, répondit Thor, méfiant. Il faut que l’espèce puisse se reproduire.
— Bien entendu. Jamais je ne te demanderai de fertiliser un caillou.
Cette fois, Loki fut le seul à rire. Les autres Dieux commençaient, pour les uns à s’ennuyer, pour les autres à être agacés.
— Alors, qu’attends-tu ! s’impatienta Thor.
— Mais toi.
— Moi ? Es-tu aveugle au point de ne pas me voir ?
— Et toi ? demanda le Dieu Géant en s’approchant lentement. Es-tu bête au point de ne pas comprendre ?
Un sourire fourbe illumina ses traits tandis qu’il s’arrêtait à un pas du fils d’Odin, qui l’attendait, une main sur Mjöllnir.
— Après tout, ce que je te demande n’est que la continuité de la dernière épreuve, murmura Loki en se penchant pour n’être entendu que du seul Dieu de la fertilité.
Thor recula d’un pas. Ses souvenirs lui revinrent de plein fouet. Autour d’eux, les autres murmuraient et spéculaient sur cet échange inaudible.
Le Dieu de la ruse ouvrit les bras et clama d’une voix forte :
— Fertilise-moi !
L’air enfla des cris d’indignation des Ases, sous le regard amusé de Loki.
— C’est un affront ! éructa Balder.
— Et en quoi, je te prie ? s’étonna le Dieu Jötunn. Thor ne vient-il pas d’affirmer qu’il pouvait fertiliser toute espèce capable de se reproduire ?
— Si cela ne contrevient pas aux Lois ! lança Syn, Déesse du droit. Tu es un mâle ! Par définition, tu ne peux pas donner naissance !
Odin ferma l’œil et soupira.
— Je peux certifier qu’il le peut, annonça le Père de tout.
Et, sous le regard médusé de l’assemblée divine, le roi siffla. Alors, Sleipnir, son cheval à huit jambes, apparut, parcourant d’un saut le chemin depuis l’écurie royale, et hennit fièrement.
— Va dire bonjour à ta mère, murmura Odin en flattant son encolure.
Le cheval fut auprès de Loki en un battement de cils. Le Dieu caressa sa crinière et lui murmura quelques mots à l’oreille. Le destrier s’ébroua et piaffa de joie.
Les Ases, eux, se murèrent dans un silence si parfait qu’on aurait pu croire la cité déserte.
— Cela ne se peut, murmura Thor.
Odin se leva et raconta :
— Vous souvenez-vous lorsque le Bâtisseur proposa de construire une muraille infranchissable autour d’Asgard ?
Un assentiment muet balaya la foule.
— Et vous souvenez-vous des prix demandés pour une telle protection ? Freyja, notre sœur du peuple des Vanes, mais aussi la Lune et le Soleil d’Asgard !
Les Dieux s’entreregardèrent, cherchant à comprendre.
— Il a bien failli réussir ! éclata Irmin en assassinant Loki du regard. C’est ce traître qui a permis au Bâtisseur d’utiliser son colossal étalon Svadilfari pour transporter son chargement !
— Et c’est Loki, mon frère de sang, qui a éloigné ce même étalon alors que le Géant s’apprêtait à terminer sa tâche au terme du délai convenu, acheva Odin en se rasseyant.
Les regards convergèrent vers le Dieu de la métamorphose qui congédiait la monture royale d’une caresse sur le flanc.
— Ta magie noire n’a donc aucune limite ? cracha Thor en le détaillant d’un air de dégoût.
Loki cilla, mais ne releva pas.
— Et toi, fils d’Odin ? Ton don en a-t-il une ?
Le Dieu du tonnerre serra plus fort son marteau, prêt au combat, mais se retint à temps. Se battre ne ferait que repousser l’échéance. Il s’avança d’un pas rageur vers son adversaire. Quand il stoppa, leurs nez se touchaient presque.
Le regard calme de l’un affronta les yeux étincelants de l’autre.
— Eh bien, sourit le Dieu de la ruse. Où en étions-nous ?
— Tu te transformais en jument, je crois, pour que d’un souffle je te fertilise.
— Ce n’est pas exactement ce que je t’ai demandé.
— Jamais je ne m’avilirai à cet acte de perversion !
Les murmures autour d’eux firent se retourner Thor. Les Déesses et les Dieux semblaient abattus. C’est à cet instant que le fils d’Odin vit le piège se refermer. Soit il fertilisait ce Dieu selon ses conditions, s’assurant son bannissement, mais aussi le mépris de ses compagnons pour avoir commis un acte impur, soit il refusait, perdant ainsi le défi lancé, et permettant à ce fourbe de trôner comme l’égal des Ases. Dans les deux cas, il était perdant. Il tenta une dernière parade :
— Pourquoi devrais-je accepter tes conditions ?!
— Parce que c’est moi qui ai lancé le défi et, de nous deux, c’est moi qui ai le plus à perdre. Les règles de la bienséance et de la justice asgardienne penchent donc en ma faveur.
Un regard à Odin suffit à faire comprendre à Thor qu’il était perdu. Il considéra un moment son ennemi, puis se recula, aussi digne que possible.
— Mes compagnons. Mes frères. Mes sœurs. J’espère que vous me pardonnerez un jour.
Il se tourna vers Vor et posa un genou à terre.
— Je renonce à cette épreuve.
— Je déclare donc Loki, fils de Laufey et de Farbauti, vainqueur, annonça Vor à contrecœur. Selon les termes du serment, tel qu’énoncé, Thor devra lui ériger une statue et nul, plus jamais, ne pourra douter du statut d’Ase de notre… frère.
La rage et la déception dévoraient les rangs divins. La rancœur également. Mais aucun des Dieux n’afficherait ouvertement son ressentiment face à Thor. Il était prince d’Asgard. Et, à ce titre, on lui devait le respect. Quelles que soient ses décisions.
L’assemblée se dispersa.
Des nuages noirs apparurent. Le tonnerre gronda comme rarement. Thor disparut lorsqu’un éclair frappa le sol.
Hluti 5
Les cheveux d’or
Les Dieux ne savaient pas quel était le pire châtiment. Savoir que Loki était maintenant l’un des leurs, ou regarder le fils de leur roi s’éclipser dès le lever du soleil pour ériger l’humiliation collective que représentait cette statue ?
Quoi qu’il en soit, leur colère pour Thor et son manque de clairvoyance s’était peu à peu muée en pitié. Coup de grâce pour le Dieu du tonnerre, qui préférait encore suer sang et eau du matin au soir pour bâtir le caprice de son adversaire plutôt que d’affronter leurs regards.
Ainsi, il ne vint bientôt plus aux banquets, allant jusqu’à parfois passer la nuit dehors où, à la lueur d’une lune clémente, il continuait son dur labeur.
Quant à Loki, tout le monde l’évitait. Sa fourberie avait dépassé des limites que nul n’aurait cru voir franchies un jour, et se trouver en sa présence rendait les Ases encore plus mal à l’aise qu’auparavant. Mais ces considérations n’atteignaient guère le Dieu de la ruse qui, depuis sa dernière confrontation avec l’héritier d’Asgard, passait le plus clair de son temps dans ses appartements, à ruminer. Et cela ne lui ressemblait pas. Il avait eu ce qu’il désirait, comme toujours. Mais une frustration lancinante le rongeait, née du rejet dont il avait fait l’objet devant tout ce que la cité pouvait compter de divinités. Il s’était attendu au forfait de la part de son rival. C’était sur lui que Loki avait échafaudé sa stratégie. Et pourtant, le dégoût qu’il avait lu dans les yeux de Thor l’avait blessé et vexé, transformant le point d’orgue de son divertissement en obsession.
Il voulait le fils d’Odin et il l’aurait. Quand bien même devrait-il se montrer plus habile qu’en aucune autre circonstance.
Car nul ne lui disait non sans en payer le prix.
***
Loki décida dans un premier temps de visiter Thor sur le chantier de construction, se faisant la remarque qu’il avait négligé de vérifier l’avancée des travaux, cette statue étant déjà passée au second plan dans son esprit. Pour plus de liberté, il revêtit l’apparence d’un oiseau et fendit l’air jusqu’à la plaine où le prince vaincu s’attelait à sa tâche depuis l’aube. Le Dieu des métamorphoses se posa sur une branche non loin de lui et l’observa. Patience et analyse avaient toujours été ses plus fidèles alliées dans l’élaboration de ses ruses. Et, pour un objectif aussi difficilement atteignable, il ne comptait pas déroger à cette règle.
Le dos luisant de sueur, Thor grogna. Il était en passe de terminer cette maudite statue. Seule la tête manquait encore. Cela nécessiterait un temps de travail dans les forges, mais il arriverait à ses fins d’ici peu. Et ensuite… Un bruit dans l’arbre à sa droite l’alerta. Un oiseau. Le Dieu s’apprêtait à reprendre son ouvrage quand il se figea. Dans un grondement, il lança son marteau en direction du volatile qui n’eut d’autre choix que de plonger à terre pour éviter l’arme. Mais le déplacement d’air de Mjöllnir le fit tournoyer.
Ce fut un Loki un peu sonné qui tomba au sol.
— En voilà une façon d’accueillir un de tes frères !
Des étincelles crépitèrent dans les yeux de Thor, mais il choisit d’ignorer la pique et se remit au travail, tournant le dos à son visiteur.
— Que me veux-tu ? demanda le fils d’Odin en rappelant son marteau à sa main.
Loki le détailla. Ses muscles roulaient sous sa peau tannée par le soleil et rendue brillante par la sueur.
— Savoir si tu avais enfin terminé. À ce que je constate, tu n’y es pas encore.
— Tu constates bien.
Seule la poigne de fer sur le manche de Mjöllnir trahissait la fureur de Thor. Le regard du Dieu Jötunn se troubla.
— As-tu autre chose à me demander ou es-tu seulement venu me narguer un peu plus ?!
Loki détourna les yeux, retrouvant sa posture hautaine.
— Rien d’autre. Bien que je continue de penser que tout ceci aurait pu t’être épargné.
Les coups de marteau cessèrent net et le prince se retourna lentement. La chaleur de la journée se fit plus lourde encore. Un orage approchait.
— À choisir entre la honte et l’ignominie, j’ai choisi le moindre mal, lança le fils d’Odin d’une voix rauque.
Au loin, des éclairs se formaient au sein des nuages d’un noir d’encre filant en direction de la statue.
Loki frémit, ses deux émeraudes étincelant.
— Maintenant, pars, ordonna Thor. Autrement, Mjöllnir se fera une joie de remodeler ton sourire narquois !
Un dernier regard haineux, et le Dieu de la ruse se métamorphosa en oiseau.
Alors qu’il rejoignait la cité, une vengeance prit forme dans son esprit venimeux. Thor allait être frappé à son dernier point faible. Son ego et sa dignité avaient déjà été mis à mal, l’éloignant des autres Dieux et des plaisirs de leur compagnie. Ne restait que le havre de paix auquel il aspirait chaque soir : Sif et sa beauté ensorcelante.
***
Ce soir-là, une nuit sans lune se profila, permettant à un oiseau noir de s’envoler d’une fenêtre pour atterrir sur le rebord d’une autre, puis à un serpent de se glisser par un faible interstice et enfin à un petit chat noir de se dissimuler derrière un meuble d’une chambre richement décorée. Seule dépassait sa tête, deux yeux verts observant les corps qui se mouvaient sur le lit.
Le plaisir emporta les deux amants simultanément. Thor roula bientôt sur le côté, laissant sa compagne reprendre son souffle.
— Je te trouve très entreprenant, ces temps-ci.
— Est-ce un reproche ?
— Aucunement.
Sif se rapprocha de son époux.
— Sache seulement que tu n’as rien à me prouver.
Thor fixa encore plus intensément le lustre de leur chambre. Il était vrai que le goût d’inachevé de ce maudit défi lui restait en travers de la gorge. Il n’avait pas pu démontrer l’étendue infinie de son don et cela le taraudait. Sa vigueur n’en avait été que décuplée dans le lit conjugal. Il n’avait rien à prouver à sa femme, certes. Mais à lui…
— Dors, maintenant, fils d’Odin. Reprends des forces.
Thor se tourna vers sa Déesse et la contempla un moment. Sa seule présence parvenait à le calmer. Il lui caressa les cheveux et l’embrassa avant de la prendre dans ses bras. Ainsi enlacés, les deux amants sombrèrent dans le sommeil.
***
Un hurlement sauvage réveilla Asgard aux premières lueurs du jour. Sitôt que les Ases en eurent identifié la provenance, tous se précipitèrent vers les appartements du couple princier. Balder frappa de lourds coups sur la porte en chêne massif.
— Thor ! Sif ! Ouvrez, par Odin !
Le Dieu du tonnerre sortit sur le pas de la porte, livide.
— Parle ! implora Hermod.
— Quelqu’un a coupé les cheveux de Sif.
La nouvelle fit l’effet d’un cataclysme parmi les Dieux. Certains d’entre eux risquèrent un œil dans la chambre, mais la Déesse, les yeux ruisselant de larmes, claqua violemment la porte.
— Qui a osé ? éclata Irmin.
Le visage de Thor s’assombrit. Il fendit l’attroupement et se rendit directement à la chambre du seul coupable possible.
Dormant du paisible sommeil de celui ayant atteint son but, Loki se réveilla brusquement lorsque la porte de sa chambre explosa. Sur le seuil se tenait Thor, Mjöllnir à la main.
— Tu vas mourir ! rugit le Dieu en se ruant sur lui.
Mais Loki, aussi rapide que rusé, se transforma en fourmi, disparaissant aux yeux de son agresseur.
— Montre-toi, lâche, hurla Thor en fouillant les draps.
Mais la fourmi était déjà loin, tapie dans un recoin de la pièce.
— Sors ou je jure par Odin que je détruis jusqu’à la dernière pierre de cet endroit !
— Tu devras le reconstruire, dans ce cas. Et je doute que tu souhaites passer plus de temps que nécessaire dans mes appartements.
Fulminant de rage, Thor dut néanmoins se rendre aux arguments de son ennemi. À contrecœur, il abaissa son marteau.
Loki se matérialisa alors prudemment à quelques pas de lui.
— Aurais-tu tellement passé de temps au soleil que tu en aurais oublié les règles d’usage entre Ases ?
— Pas quand cet… Ase… se rend coupable d’un sacrilège !
— Explique-toi.
— Cesse tes mensonges ! Tu as coupé les cheveux de ma femme !
— Quelle preuve as-tu ?
— Celle de la logique. Aucun des miens n’aurait osé. Tous l’aiment et la respectent. Le seul traître ici, c’est toi.
— En tant qu’Ase, j’ai le droit à la même justice. Tu dois prouver tes dires.
— Assez, gronda Thor en faisant tournoyer son marteau.
Voyant qu’il n’était pas dans son intérêt de continuer à mentir, Loki leva les mains en signe de reddition.
— Bien. Repose ton marteau, fils d’Odin.
Thor obtempéra sans le quitter du regard.
— Tu avoues ?!
— Oui, j’avoue.
— Quelle folie t’a pris d’agir de la sorte ?!
Le Dieu de la ruse plissa les yeux.
— Celle de te proposer un marché.
— Assez avec ta malice ! Je n’en ai pas encore terminé avec ta statue.
— Tu envisages donc une nouvelle défaite ?
C’en fut trop pour Thor, qui bondit sur Loki. Lui enserrant la gorge, il le plaqua au mur.
— Je pourrais te tuer sur-le-champ.
— Et tu devrais en répondre au Père de tout, sans oublier Nidhögg. Souhaites-tu réellement que ton cadavre de meurtrier soit dévoré par le Dragon jusqu’au Ragnarök ?
Le prince grimaça et relâcha son emprise.
— Quel est ton prix pour redonner sa chevelure à ma Déesse ?
— Je ne pourrai pas lui redonner sa chevelure. Mais je pourrais faire mieux que ça.
— Mieux ?
— Oui. Les Nains, si rustres soient-ils, possèdent une magie telle que tisser des cheveux d’or ne devrait pas leur poser plus de problèmes que, disons, créer une cage enchantée.
— Que dis-tu ?
— Je peux demander à Brokk de forger pour ta femme une chevelure plus étincelante qu’aucune autre.
Le Dieu réfléchit à sa proposition. Tout valait mieux que de laisser sa compagne en proie au désarroi le plus profond.
— Et quel en sera le prix ?
Un fin sourire dessina les traits de Loki.
— Un prix à la hauteur de ton amour pour ta femme.
— Cesse tes énigmes !
Prudemment, le Dieu Géant se pencha vers Thor pour chuchoter à son oreille :
— Achevons ce que nous avons commencé sur Jötunheim et que tu as refusé de poursuivre lors de notre affrontement.
L’Ase recula d’un pas.
— Comment mon Père a-t-il pu lier son sang au tien ?! Connaît-il l’étendue de ta perversion ?
— Il la connaît. Mais ceci n’est pas la question. Si tu veux que ta femme retrouve toute sa beauté, accepte d’unir ton corps au mien. Autrement, elle devra vivre avec sa honte jusqu’au Ragnarök.
Le regard dégoûté de Thor fit perdre son calme apparent à Loki. Il se rapprocha d’un pas et lui cracha ses mots au visage :
— J’obtiens invariablement ce que je veux, fils d’Odin. D’une manière ou d’une autre. Tu devrais le savoir.
— Et toi, tu devrais savoir que l’acte que tu me demandes d’accomplir va à l’encontre de mes principes. Ergi serait à jamais inscrit sur mon front. Je préfère la mort. Et Sif le comprendra. Car il existe entre nous un lien que jamais tu ne pourras te figurer.
Abattu, Thor se détourna.
— Ta porte te sera rendue demain, furent les seules paroles qu’il prononça avant de rejoindre ses appartements.
***
Deux jours plus tard, Hermod signifia à Loki que sa statue était achevée. Personne n’organisa de fête, personne ne se réjouit. Pas même le principal intéressé. D’autres choses tournaient dans son esprit. Des choses qui le surprenaient autant qu’elles le troublaient.
Pourquoi pensait-il ainsi, subitement ? Devenait-il aussi insipide que les Ases, à leur contact ? Il n’en avait pas l’impression. Mais alors quoi ? Ses pensées le ramenaient inlassablement vers Thor. Son attitude, ses mots, au-delà de le frustrer, l’avaient blessé. Une nouvelle fois. Comme si l’opinion de cet insupportable Dieu revêtait une quelconque importance.
Soupirant d’agacement, Loki se leva pour contempler la cité du haut de sa tour privée. L’idée qui lui était venue n’avait rien de commun avec son mode de fonctionnement habituel. Empreinte d’altruisme, elle le terrorisait presque. Mais s’il allait jusqu’au bout, il pourrait prouver au fils d’Odin qu’il avait tort. Cette perspective le détendit.
Au milieu de la nuit, un oiseau au plumage luisant s’envola.
***
Sif ne sortait plus. Sa chevelure représentait maintenant un tel déshonneur qu’elle n’avait plus goût à rien. Personne, pas même son époux, ne parvenait à lui faire oublier cette perte.
Cette situation minait tant et si bien Thor que l’idée folle d’accepter le marché du Dieu Géant s’imposait de plus en plus à son esprit. Un déshonneur implacable s’abattrait sur lui, mais Sif retrouverait ce qui, pour elle, constituait sa beauté.
Le sacrifice en valait la peine. À condition que personne ne sache.
Le visage sombre, le fils d’Odin se leva avant l’aube et, sans réveiller sa femme, sortit de leurs appartements.
Son pied buta alors sur quelque chose. Il se pencha et prit le paquet déposé sur le seuil : un nuage d’argent opaque d’où émanait une lumière douce et chaude. Intrigué, il l’ouvrit et n’en crut pas ses yeux. Une masse blonde. Lentement, il la déroula.
Des cheveux d’or.
Le choc passé, Thor courut réveiller sa compagne.
Ce matin-là, un nouveau cri s’éleva de la chambre princière pour se répercuter sur tous les murs d’Asgard. Les Dieux et Déesses accoururent et s’émerveillèrent de la nouvelle chevelure de Sif, se demandant d’où pouvait provenir un tel miracle. Mais personne n’avait la réponse.
Excepté l’époux de la Déesse, qui s’éclipsa pour se rendre à l’autre bout de la cité.
Le cri de Sif avait été si puissant que même Loki s’était réveillé en sursaut.
Le front posé sur l’encadrement de sa fenêtre, il scrutait les premiers filets du jour naissant. Il ne prit même pas la peine de se tourner quand il entendit frapper à la porte, se contentant d’une faible invitation à entrer, sachant pertinemment qui venait lui rendre visite.
Thor pénétra dans les appartements du Dieu Géant, partagé entre méfiance et reconnaissance.
— Pourquoi ? se contenta-t-il de demander.
Loki ne bougea pas pendant un long moment, puis se retourna, un masque de contentement sur le visage.
— Pour te prouver que tu n’es pas infaillible, grand Thor.
Devant l’incompréhension de son hôte, il jugea nécessaire de s’expliquer :
— Ne m’as-tu pas affirmé que je ne pouvais pas comprendre ce qui vous unissait, toi et Sif ?
— C’est exact.
— Eh bien, avec ce geste généreux, je t’ai prouvé que j’étais capable de sacrifice.
— Réparer tes erreurs n’est en rien un sacrifice.
Loki s’avança lentement vers le prince.
— Un simple remerciement serait le bienvenu, ne penses-tu pas ?
Le Dieu du tonnerre réfléchit. Pour Loki, cet acte relevait d’un réel sacrifice. Il ne comprendrait jamais ce qu’étaient la bonté ou la générosité. Il était ce qu’il était. Mais lui accorder un peu de gratitude ne ferait pas de mal. C’était peut-être même cet élément qui lui manquait pour devenir meilleur. Alors, Thor lui tendit la main.
Le Dieu de la malice la considéra un moment avant de la saisir, ses doigts graciles rencontrant la poigne de fer du fils d’Odin. Une décharge les parcourut. Tous deux mirent cet évènement sur le compte de la nature de Thor.
— Merci, fils de Laufey. Tu as rendu un fier service à ma femme.
Loki inclina la tête. La poignée de main se prolongea.
— Ce fut… comment dit-on déjà ? Un plaisir.
Un fin sourire dessina les lèvres de Thor. Mais, face aux émeraudes brillantes qui le transperçaient, il se sentit rapidement mal à l’aise. Aussi retira-t-il sa main et s’en fut d’un pas rapide vers la porte.
— Je dirai à Sif que tu as… fait preuve de générosité.
Le Dieu Géant ne rétorqua rien, se contentant de fixer sa nouvelle porte qui venait d’être claquée avec brusquerie.