Chapitre 1
Si l’on devait reprendre depuis le début, on parlerait de cette fête immense qu’était la capitale en cette année 1899. L’Exposition universelle allait avoir lieu et Paris se couvrait de pavillons de toutes les nations. Le Champ-de-Mars et les bords de Seine étaient un chantier immense, et les formes les plus surprenantes s’élevaient, inspirées des créations extravagantes d’architectes mégalomanes. Partout on fêtait les arts et les temps heureux, et s’ouvraient toutes grandes les portes de la Belle Époque. En cette année électrique, ils arrivaient du monde entier : ouvriers et chercheurs de fortune, artistes fauchés et riches négociants. L’atmosphère était pleine de toute cette énergie d’entreprendre et de jouir du siècle naissant. La ville en était presque étourdie. Essoufflée, comme pouvait l’être le jeune manœuvre qui traînait avec peine un lourd faîtage métallique sous le terne soleil de décembre. Encore quatre mois pour terminer l’outrageusement décoré pavillon de l’Allemagne. Il releva les yeux en s’essuyant le front du revers de la main. La tour à horloge était déjà sur pied et les couvreurs œuvraient à présent dans les hauteurs de cet édifice de carnaval.
Déjà décembre…
Henryk était arrivé cette année-là à Paris, en juin, quand la poussière des rues se dispute avec les rayons de l’été. Il s’était installé à Montmartre, dans ce quartier cosmopolite, qu’on disait coupe-gorge et fréquenté par les rapins et les catins, mais qui avait le mérite de proposer aux artistes désargentés des toits à moindre coût. Alors il logeait là, dans une mansarde, au quatrième étage d’un immeuble délabré ayant gardé le charme rustique des piaules de domestiques. La faune de ses voisins y vivait en fourmilière, debout dès l’aube ou couchée aux aurores. Les bruits de la vie grouillante et populaire ne s’arrêtaient jamais. Il ignorait si cela lui déplaisait ou non, souvent enfermé qu’il était dans ses nostalgies du passé et ses colères du présent. Quand les cauchemars vous suivent à la trace, il est bien difficile de savourer la vie de bohème, à moins de s’y noyer.
Henryk était né en Pologne, dans une famille de petits commerçants juifs. De son père immigré russe, il avait hérité sa taille élancée, ses cheveux aux reflets blonds et cette allure racée de fils de Slaves. Miriam, sa mère, lui avait légué un sens obstiné de l’honneur et des prunelles grises qui pouvaient passer de la plus terrifiante froideur au plus doux des sourires en un instant. En lui, les mots et les images de cette enfance disparue, les réflexes d’une éducation modeste et besogneuse étaient encore vivaces ; même si cet héritage et ces racines n’existaient plus qu’à l’état de cicatrices dans sa mémoire. À vingt-sept ans, Henryk avait déjà vécu plusieurs vies, ponctuées de drames et de recommencements. Il était bien conscient qu’au crépuscule du XIXe siècle, malgré les lumières du Progrès qui gonflaient le cœur des peuples d’une vive bouffée d’espérance, la pauvreté dictait encore ses lois.
Le son d’une cloche. L’heure de la pause et de la rotation pour les équipes du chantier. Henryk ramassa son paletot et sa casquette laissés sur les bancs le long des palissades. Il se dirigea rapidement vers la table du contremaître pour recevoir les quelques sous de sa paie du jour.
— Henryk Lublieski. Mouais, voilà.
L’homme bourru tenant les comptes lui tendit une poignée de pièces. En tant qu’étranger, Henryk avait été embauché comme extra et pouvait du jour au lendemain se voir donner son congé. La paie, pour lui, se comptait en heures de labeur journalières. Nombre de ses collègues étaient soumis au même régime. Les chantiers de l’Exposition constituaient une aubaine pour les hommes en situation précaire à la recherche de quelques sous. Il ne dit rien, empocha l’argent et quitta le lieu qu’habitaient déjà les bruits de reprise des travaux.
Il était 11 heures. Un froid humide lui glaça la nuque tandis qu’il traversait les beaux quartiers s’étirant entre le tout nouvel Opéra de Paris et les grands boulevards. Il avait la casquette vissée sur les oreilles, le col relevé et les mains enfouies dans les poches de toile grossière de son manteau. Les riches bourgeois, eux, se pavanaient en pardessus garnis de fourrure.
— Fichu hiver parisien, marmonna-t-il. Rien à voir avec le Midi.
Quel beau soleil il avait connu, là-bas ! Trois belles années d’art et de lumière, de vie légère et de petites débrouilles. Une contrée de jeunesse offerte et d’insouciance où sa pauvreté ne l’avait pas gêné, pourvu que ses conquêtes du moment lui fournissent du pain et un coin de lit. Mais il y avait eu le manque de chance, les rumeurs. Et il lui avait fallu partir. En Province, il ne fait pas bon avoir les médisants contre soi. Si la capitale avait au moins un mérite, c’était celui de l’anonymat. On y cachait sans peine vices et petits larcins dans les faubourgs écrasés de misère où la maréchaussée ne se risquait plus.
Les ruelles parisiennes devinrent plus sinueuses à mesure qu’Henryk s’approchait de son quartier. Il arriva enfin à son logis, une baraque bancale aux volets vert pâle, sorte de pension pauvrement meublée dont chaque pièce était louée à un traîne-misère de son espèce. Depuis que les moulins avaient disparu des flancs de la colline de Montmartre, de telles bicoques poussaient par dizaines, abritant toute l’engeance de la Bohême : artistes et ouvriers, soiffards et marmots, dans un joyeux pêle-mêle de pauvreté et de vie. De la porte d’entrée de la maison, éternellement ouverte, s’échappaient de grands cris. Une jeune femme d’une beauté tapageuse, sorte de mulâtresse mâtinée d’Espagnole, sortit dans un flot de jupes carmin.
— Allez tous vous faire foutre, yé né donnerai plus oune pièce à cé connard. C’est avec mon cul que yé gagne cé fric, c’est dans ma poche qu’il va finir !
Carmen Murillo. Cette jeune calabraise habitait juste en dessous de la mansarde d’Henryk. Elle était belle, vive et sulfureuse. En arrivant en France, elle s’était rêvé un destin à la Caroline Otero : une diablesse des salons régnant sur le Tout-Paris avec ses danses dénudées et ses amants richissimes. Mais de telles vies ne s’offraient que très rarement et, pour toutes les orphelines du genre de Carmen, il n’y avait bien souvent qu’un seul chemin pour survivre : la prostitution. Les esclandres entre elle et Victorio, son souteneur, faisaient régulièrement résonner tout le quartier. C’était lui, justement, qui apparaissait dans l’embrasure de la porte. Un Italien à la peau tannée, à la tignasse noire comme la nuit et au visage tranché de cicatrices, qui se donnait des airs d’apache et, pour tout dire, avait la parfaite gueule de l’emploi. Il ne parlait pas, ou presque. Carmen hurlait pour deux. Comme l’argument reprenait sur le pas de la maison et qu’il n’était pas près de finir, Henryk se faufila, sans attendre, entre les deux belligérants. Il n’était pas de ceux qui se mêlent de la vie des autres, il avait déjà bien à faire avec la sienne et avec la cohorte de fantômes qui lui collaient aux semelles. Henryk monta résolument les marches branlantes de l’étroit escalier, arriva jusque chez lui et claqua enfin la porte.
Une belle lumière blanche éclairait l’unique pièce. Elle provenait d’une fenêtre basse, insuffisamment grande pour faire de ce lieu un véritable atelier d’artiste comme on pouvait le rêver. Mais Henryk n’avait pas eu l’embarras du choix pour se loger. Dans un angle : un matelas posé à même le sol, une malle couverte de livres, de larges feuilles de papier roulées et nouées par une corde. Un gros fauteuil garni d’une tenture pourpre peignait une tache de couleur opulente dans ce décor plus que modeste. Le reste de la pièce était meublé d’une petite table de bois de caisse sur laquelle trônait un vase où quatre roses finissaient de sécher. Une cuvette de porcelaine fêlée contenait un fond d’eau claire. Des cartons à dessins envahissaient tout l’espace libre, laissant échapper une partie de leur contenu et une odeur humide d’encre fraîche. Henryk jeta son paletot sur la chaise et empoigna le restant de son pain du matin. Il en mâchonna une bouchée distraitement, tout en récupérant un fusain et une esquisse laissée inachevée sur le lit de fortune.
Artiste, le beau métier que voilà !
Son père n’aurait certainement pas apprécié que son fils unique tombe dans ce genre d’occupation pour crève-la-faim. Mais Henryk avait cela dans les doigts. Cette envie de laisser quelque part une trace des images qu’il voyait en fermant les yeux. Les images et surtout les ombres. Le noir, beaucoup de noir, sur du blanc, c’est pour cela que la gravure l’avait toujours fasciné. L’art de dessiner avec des ombres.
Il griffonna sans conviction les contours d’une porte, les lignes d’un réverbère, et une petite scène nocturne prit rapidement forme. Il la noircit de nombreux traits, la pulpeuse jeune femme qui en était le centre se mua en ensorceleuse aux yeux fous. L’image en devint inquiétante, bizarre. Mais l’inspiration s’échappa de ses doigts. La figure dessinée était trop vulgaire, pas assez intrigante. Il allait devoir retravailler tout ça.
L’horloge de l’église sonna au loin. De longs coups traînants pour annoncer les treize heures. Henryk laissa là son croquis. Il avait encore une demi-heure pour se laver et se redonner quelque allure. Son deuxième métier commençait à 14 heures. Deux boulots pour avoir tout juste de quoi payer le loyer, sa pitance et surtout son matériel d’artiste. Le jeune homme poussa un soupir résigné et se releva. Il avait les épaules endolories par les efforts du matin.
Vingt minutes plus tard, il était en bas de l’escalier, fraîchement rasé et les cheveux domptés. Carmen et Victorio n’étaient plus là. La rue n’en était pas moins bruyante, des marchandes des quatre saisons s’étant installées avec leurs étals de fortune sur la petite place toute proche. Les conversations des commères remplissaient l’air et réchauffaient l’atmosphère. Henryk se paya une rasade de soupe pour compléter son déjeuner frugal et, ragaillardi, prit résolument le chemin des grands boulevards. Depuis quatre mois, en plus de travailler sur les chantiers de l’Exposition, il était embauché à l’Hôtel Drouot, la célèbre maison de ventes aux enchères. Il y faisait un métier de commis, consistant à porter les objets en vente sur l’estrade de démonstration, à emballer les pièces acquises, à aider au chargement des achats dans les voitures des livreurs.
Quand il arriva sur place, il y avait déjà toute une foule aux portes arrière du bâtiment. Le lieu dégueulait ses caisses énormes, ses antiquités bringuebalantes et ses précieux objets d’art dans un va-et-vient de suants déchargeurs et de guindés valets de pied. Henryk avisa une tête connue. Il rejoignit un gaillard hirsute aux muscles saillants. Celui-ci l’accueillit d’une bourrade sur l’épaule.
— Salut, l’artiste. Alors, t’as pris le temps de te refaire une beauté ? Tu sais que tu risques pas de te lever une belette, dans ce clapier ! À moins qu’tu sois branché vieille veuve !
— Merci, Jules. Et toi, t’as pensé à te laver depuis une semaine ?
Henryk se fendit d’un sourire tandis que son collègue émettait un grognement amusé. Il appréciait ce grand type, aussi brutal que sympathique, et leurs échanges de saillies continuelles. Jules était chef des commis de Drouot. Ancien fort des Halles, ce costaud avait tout un réseau de contacts et de bons plans dans Paris. Sous ses airs de rustaud peu amène, c’était lui qui avait déniché à Henryk une mansarde à Montmartre et qui l’avait même rencardé sur de petits travaux de typographie dans l’atelier d’imprimerie d’un de ses cousins. Alors, même si Henryk, avec son fichu orgueil et sa méfiance de chat trop souvent échaudé, était peu enclin à s’encombrer de l’amitié de qui que ce soit, ce gaillard valait la peine d’être brossé dans le sens du poil.
— Grouille-toi, l’artiste, ils vont commencer là-dedans. T’es en salle 2, au rez-de-chaussée, lança Jules.
Les deux mains sur le cœur, Henryk prit un air d’enfant aimant.
— Ah, Jules, toujours aux petits soins, tu es une vraie mère pour moi !
— Pff, casse-toi, p’tit trou du cul, le rembarra amicalement le manutentionnaire.
Henryk tourna les talons. Derrière lui, Jules mimait l’exaspération. En rentrant dans le bâtiment, l’artiste esquiva de justesse deux manœuvres qui portaient une armoire. Celle-ci s’ouvrit d’un coup, laissant tomber une planche intérieure sur le pavé. Au fracas du bois se mêlèrent les éclats des jurons des deux hommes. N’en tenant pas compte, Henryk fila jusqu’aux réserves, où il enfila son uniforme à col rouge, puis cavala jusqu’à la salle où avait lieu la vente.
À son arrivée, le commissaire-priseur n’était pas encore là et il prit le temps de s’installer dans un coin de la salle. Il aimait se tenir caché derrière les piles de chaises tendues de riches étoffes et les meubles en fin de vie. Là, comme un tigre en chasse, il pouvait surveiller les spectateurs, les clients fortunés, les antiquaires loqueteux.
Toute cette faune de collectionneurs est aussi bigarrée que pathétique, jugea-t-il avec cynisme. Se battre pour ces breloques dorées, un vrai passe-temps de richards oisifs.
Henryk méprisait ces gens, mais il n’aurait pu nier qu’après les efforts physiques de sa matinée, retrouver l’ambiance feutrée de Drouot était un vrai plaisir.
Aujourd’hui, comme à l’habitude, il se tenait donc en peu en retrait, caché entre une Vénus alanguie de plâtre terne et une chauffeuse style Empire. Les murs couverts de velours rouge donnaient à la salle une atmosphère douce, poussiéreuse et assoupie. Henryk détailla avec nonchalance la foule du jour. Il commençait à reconnaître les habitués, il en saluait même certains. Une petite dame potelée au premier rang semblait fascinée par une jardinière rococo, elle frétillait d’impatience dans l’attente de la mise en vente de son numéro. Au fond, le public qui n’avait pu trouver une place assise s’entassait debout.
La masse de gens gigota un peu. On grogna et grommela. Un retardataire venait de rentrer dans la salle déjà comble et désirait visiblement trouver une bonne situation. Ce qui relevait de l’impossible, chaque chaise était prise. Même l’auguste canapé Louis XV qui allait être mis en vente dans l’après-midi avait trouvé utilité en la personne d’un couple d’Anglais s’y étant affalé.
Les suffisants retardataires : un vrai bonheur de les observer interagir avec leurs semblables, observa-t-il.
Le sourire aux lèvres, Henryk focalisa son attention sur le nouveau venu. C’était un homme important, cela se voyait à sa mise. Le menton haut, la redingote serrée, le sourire confiant de celui qui se sait entouré par les gens influents et l’assurance de celui qui croit en la stabilité de son avenir. Le malappris parvint à se glisser en bonne place, debout, certes, mais bien en vue.
Qu’est-ce qu’il cherche, celui-là : voir les œuvres ou se faire voir ? se demanda Henryk, un brin agacé par l’arrogance assumée du bourgeois qui venait de bousculer une dame fluette n’osant rien dire.
L’homme se retourna et s’adressa à quelqu’un derrière lui. Il prit un ton irrité, dédaigneux. Violemment, il saisit le bras d’un jeune homme qu’il ramena à ses côtés. Ce dernier se dégagea vivement et se tint résolument en retrait, envoyant à celui qui le sermonnait encore un regard noir.
« Un regard noir », c’était une figure de style, car ce regard abritait au contraire une flamme éclatante, brûlante, dénuée de noirceur. Henryk sentit tout son corps s’animer d’un violent frisson. Des yeux bleus. Intensément bleus et brillant si ardemment que l’artiste resta hypnotisé. Il devina que ce jeune homme ne devait avoir guère plus d’une vingtaine d’années. Des mèches brunes, un teint de porcelaine et surtout des lèvres incroyables. Rouges à en être obscènes, des lèvres délicieuses et pleines, des lèvres, se dit Henryk, pour lesquelles il aurait vendu ce qu’il restait de son âme. Ce garçon semblait tout droit sorti d’un tableau de ces peintres anglais qui dessinaient des muses sensuelles vouées au désespoir.
Il y eut quelques mots échangés entre le bourgeois et celui qui devait être son fils, bien que la ressemblance ne soit pas frappante. Le père prit un air particulièrement obtus, les sourcils froncés, et gronda une menace. Puis il finit par hausser les épaules et tourna son attention vers l’estrade, où le commissaire-priseur venait d’apparaître. Henryk ne prêta pas d’intérêt à l’entrée du maître de cérémonie. Il y eut un bruissement dans le public, puis, au geste solennel du marteau qui frappe sur le bois, ce fut le début de la vente : un va-et-vient de commis, d’objets vendus, de mains levées, d’échanges de billets. Une effervescence réglée comme un métronome.
Cependant, toute cette danse des enchères ne tira pas Henryk de sa contemplation. Il aurait dû aider ses collègues commis, mais il ne pouvait s’empêcher d’observer le jeune inconnu. Celui-ci s’était détourné de la vente avec lassitude et parcourait la salle du regard.
On croirait qu’il a été traîné là de force, se dit Henryk.
Une corvée de riches bien peu contraignante. Que leurs mondes devaient être différents, radicalement différents ! Quelle demeure cossue ce jeune homme pouvait-il bien habiter ? Il étudiait le droit, sans doute, comme cela se faisait souvent, et devait se régaler de vin et de glaces dans les cafés à la mode, avec sa bande d’amis nantis et délurés prompts à dilapider la fortune familiale et à engrosser les bonnes. Un autre monde, répugnant de fatuité. Tout ce qu’Henryk exécrait. Un tel personnage, d’ordinaire, ne lui arrachait pas un coup d’œil. Mais, étrangement, cette fois-ci, il resta fasciné.
Le bel inconnu posait à présent son regard azur sur tout ce qui l’entourait : les objets dépareillés, les figures cosmopolites du public de la salle des ventes. Il détaillait tout avec un air d’intelligence innocente, un intérêt pour chaque chose et chaque personne. Henryk lisait une vraie curiosité dans ces prunelles brillantes. La franchise se peignait sur sa figure et ouvrait ses traits en une attitude pleine de dignité et de confiance en soi. L’artiste prit mentalement le maximum de notes. Ses doigts le démangeaient de ne pouvoir fixer sur le papier cette figure si expressive.
Soudain, Henryk retint son souffle. Leurs regards venaient de se rencontrer. Il lui sembla que la foudre traversait son corps ; une décharge crispa son cœur, qui fit un bond presque douloureux dans sa poitrine. Sur le visage du jeune homme, il y eut l’empreinte d’une vive surprise : de l’étonnement d’avoir été attrapé à son propre jeu ou de la timidité, Henryk n’aurait su le dire, son esprit à lui restant figé. L’impression était très étrange, et c’était la première fois qu’une telle chose lui arrivait.
Le jeune bourgeois ne détourna pas les yeux. Il observait Henryk avec intensité. Il semblait hypnotisé, lui aussi, par cet instant d’intimité suspendue en pleine foule. Seuls, ils l’étaient presque, jetés ensemble dans ce vide impénétrable à d’autres qu’eux-mêmes que crée souvent le véritable coup de foudre. Au loin, comme étouffée par une couverture, la voix du commissaire-priseur énonçait les enchères. Les numéros se succédèrent. Henryk perdit la notion du temps, absorbé tout entier par cet échange à la frontière du rêve et de la réalité.
Quand l’un de ses collègues lui indiqua d’un coup de coude qu’il était temps qu’il présente un objet, il s’arracha à son rêve pour saisir avec automatisme le vase qu’on lui tendait, enrageant des précieuses secondes volées à sa délicieuse contemplation. Ce n’était que quelques instants de perdus, mais l’impression étrange était restée là. Plantée en lui. Plus qu’une curiosité, un besoin qui lui ordonnait de ne pas perdre ce contact ténu, de ne pas laisser s’envoler ce moment d’union fugace avec ce parfait inconnu. Il marcha, mécanique et détaché, vers l’estrade. Attendit que les prix s’envolent, récupéra le vase, le tendit à un autre commis. Automatismes du métier, efficaces. Henryk reprit sa place, un peu en retrait derrière les tables des experts, et chercha le jeune homme dans le public. Celui-ci n’avait pas bougé et ne l’avait pas quitté des yeux. Il rattrapa son regard immédiatement et un éclat de sourire vint illuminer encore davantage les prunelles bleues. L’artiste ne put s’empêcher de lui répondre d’un clin d’œil. Cette fois, c’est presque un rire, bien vite caché d’un geste discret de la main, qu’Henryk surprit sur le visage du jeune bourgeois. Il était adorable.
Une voix les tira tous deux de leur dialogue muet. Le père venait de surenchérir sur une toile. Il la disputa férocement à un autre collectionneur et, pour finir, emporta la vente. Un sourire satisfait rida son visage. Il bomba le torse, fier comme un toréro. Un petit homme guindé vint lui réclamer la somme et la signature du cahier d’enchères. Le bourgeois pédant s’exécuta avec force gestes d’apparat.
— James, va surveiller l’empaquetage de cette toile. Je me méfie des manipulations hasardeuses des larbins ! tonna-t-il.
Henryk crispa la mâchoire.
Des larbins… nous ne sommes rien d’autre pour eux, fulmina-t-il.
— Je voulais assister à la fin de la vente, répondit le jeune homme d’une voix posée qui fit se retourner deux dames bien mises, sans doute surprises de l’aplomb, à la limite de l’insolence, de son ton.
Son père lui renvoya un regard sombre qui ne souffrait pas la contestation. Henryk vit le jeune homme s’exécuter, ne préférant probablement pas défier en public l’autorité paternelle. Il fut dirigé vers les réserves, à la suite d’un commis qui emportait le tableau. En passant près de l’estrade des ventes, il se tourna vers Henryk. Son visage ne reflétait qu’une expression neutre, mais ses yeux, habités, laissaient filtrer un chaos de sentiments. Et Henryk sentit son esprit bourdonner. Cette rencontre lui semblait un miracle, mais elle était plus probablement une malédiction. Vers quels tourments le mèneraient ces yeux-là ? Vers quels plaisirs ? En lui ne résonna plus que deux simples mots, un ordre presque : « Suis-le ! »
Chapitre 2
Les lourdes portes à battants venaient de se refermer dans un bruit sourd. James suivait le commis dans le couloir menant aux magasins de stockage. Il faisait sombre, une odeur de poussière et de renfermé embaumait l’air. Devant lui, l’homme en uniforme noir à liserés rouges marchait d’un bon pas, le tableau dans les mains. Le passage qu’ils empruntèrent était encombré de paquets divers, mystérieux et entassés, en attente d’être emportés par les acheteurs. Les coulisses de Drouot auraient pu l’intriguer, mais James avait l’étrange impression d’être désincarné. Son esprit était resté dans la salle des ventes. Il ne pensait qu’à ce regard clair, intense, à ce sourire et à cet inconnu.
Dire qu’il avait failli ne pas venir ! Pour une fois, James pouvait remercier son tyran de beau-père, qui l’avait arraché à ses chères études pour le forcer à l’accompagner à cette vente. Un rôle de porte-manteau bien sage, rien de plus ; une bien mauvaise place pour lui, qui détestait être le centre de l’attention, évalué, soupesé comme un sac d’or. Et il le savait, les ragots allaient bon train dans les salons où l’on glose. Il était l’héritier Aylin, l’une des grosses fortunes de Paris, le fils d’un célèbre érudit anglais, noble de surcroît. On pensait à lui comme à un bon parti, bien qu’un peu freluquet. En vérité, ce que la bonne société ne commentait pas encore, c’est qu’il vivait sous le joug du second époux de Grace Aylin, un certain Ernest Autiero, un bourgeois arriviste ayant le goût des investissements douteux. Malheureusement, les arnaques de bas étage, cela ne manquait pas dans cette capitale de toutes les folies où l’on risquait sa fortune pour des inventions miracles et des tentations improbables. Il ne restait plus grand-chose de la fortune des Aylin, à part des dettes soigneusement dissimulées derrière un faste de façade. Autiero dilapidait le patrimoine familial sans aucun scrupule. Son ambition était de se faire un nom dans Paris, pour cela il employait son temps à faire le coq pour s’attirer les bonnes grâces des nantis. Bientôt, les créanciers seraient à leur porte, mais, pour le moment, Autiero jouait les nouveaux riches dans l’espoir que la fortune attirerait la fortune.
C’est en grande partie pour cette raison que James n’avait pas souhaité venir à cette vente. Il n’avait pas voulu être traîné là, obligé d’assister à ces duels de gros sous pour l’acquisition d’une croûte peinte ou sculptée. Une énième breloque qui terminerait dans la salle de réception de leur hôtel particulier déjà engorgée d’horreurs dorées. Son beau-père n’avait aucun goût. Il ne faisait cela que pour impressionner la galerie et se piquer de culture, lui qui détestait l’art viscéralement. Une « activité de fainéant », clamait d’ailleurs Autiero en privé.
Pourtant…
Pourtant, si James n’était pas venu, il n’aurait pas croisé ce regard-là : le regard de cet homme. Gris, peut-être vert, des yeux d’abord assombris par un air de colère, de rancune froide. Mais attirants, hypnotiques, des yeux qui vous captivent. Et ce sourire ! À la simple vue de ce sourire rayonnant, tout son corps s’était soudainement et inexplicablement embrasé. Cet inconnu était fascinant, il y avait quelque chose en lui, quelque chose comme… de la défiance, ou plutôt de la liberté. Une liberté que lui enviait James. Libre de choisir. Libre de partir. Libre de vivre. Libre de… si seulement !
— Martin, attends !
Le commis, devant lui, s’arrêta et se retourna. James également, surpris d’avoir été tiré de sa réflexion, encore davantage lorsqu’il reconnut celui qui les avait rattrapés. L’inconnu qui occupait ses pensées était là, un peu haletant et ramenant en arrière, d’un geste irrité, une mèche de ses cheveux blonds.
— Attends, je m’en occupe, il y a une commode à déplacer en salle et ils ont besoin de toi. Il faut croire que tu es plus soigneux que moi, ils m’ont demandé de t’appeler. Je m’occupe de ça.
Et d’autorité, il saisit le tableau des mains du commis, qui fronça les sourcils. Mais qui, pour une raison inexplicable, ne répliqua rien contre cette excuse douteuse et haussa les épaules avant de tourner les talons pour reprendre le couloir vers la porte de la salle des ventes.
James en resta bouche bée. La situation était assez cocasse. Son mystérieux inconnu semblait tout aussi surpris que lui que son mensonge soit passé sans plus de remous. Il n’y avait pas de meuble à cette vente avant au moins vingt bons numéros. Cela, James en était sûr. Alors, pourquoi cette invention bancale ? Pour rester seul avec lui ? Qu’est-ce que cet homme lui voulait ?
— Suivez-moi, je vous prie.
L’inconnu avait repris son air confiant, presque insolent. Son accent était indéfinissable, un mélange surprenant de consonnes heurtées et de voyelles chantantes, le tout flottant sur le timbre d’une belle voix grave. James poursuivit son chemin dans le couloir à la suite de l’homme, dont il pouvait à présent détailler la silhouette. Plus grand que lui, peut-être bien d’une bonne demi-tête. Une taille étonnement fine, qui s’ouvrait sur des épaules dessinées. Un physique attractif, qui n’aurait pu être que cela s’il n’y avait eu dans sa démarche cette surprenante grâce. Le genre de virilité élégante qui faisait facilement tourner les têtes des domestiques ou des lingères, mais qui, habillé d’une redingote, aurait pu tout aussi bien échauffer les esprits dans les salons de la bonne société parisienne.
Ils arrivèrent rapidement à une grande salle encombrée de caisses de toutes tailles, de paquets suspendus aux poutres de la charpente, de tapis roulés et de cadres entreposés en piles bancales contre les murs. Des sculptures protégées dans des papiers d’emballage bruns esquissaient des formes fantomatiques dans les recoins sombres. L’éclairage succinct de trois appliques murales accentuait encore davantage les ombres de cette caverne aux merveilles décrépies. Ils étaient seuls.
Le commis posa le tableau sur une grande table et retira ses gants blancs. D’un geste sûr, il déroula et coupa une large feuille destinée à protéger l’œuvre. Ses mains, remarqua James, étaient longues et fines. Ses doigts étaient tachés d’encre noire. Un écrivain, peut-être, ou un poète ? Il ne put réprimer un ricanement discret : vraiment, il fallait qu’il se débarrasse de ces pensées ridiculement romantiques !
— Ma tenue vous inspire-t-elle de la moquerie ?
James sursauta et ravala sa bonne humeur. La voix du commis avait coupé le silence feutré qui régnait dans la pièce. Il ne s’était même pas donné la peine de se tourner vers lui pour l’interpeller de cette manière abrupte. Il continuait sa tâche avec efficacité, choisissant une mesure de ficelle pour emballer le paquet. Les gestes raides. Loin d’être choqué par le ton cinglant, James se sentit immédiatement coupable que son attitude ait été mal comprise.
— Vous vous méprenez. Je me moquais plutôt de moi-même. Une pensée saugrenue qui m’est venue soudainement, rien de plus.
Pour se donner une contenance, James s’appuya nonchalamment à un petit bureau, les bras croisés sur la poitrine. Le commis finissait l’emballage du tableau.
— Et quelle était cette pensée ? Faites profiter au « larbin » que je suis d’un peu de l’hilarité des riches.
Il trancha d’un mouvement vif la ficelle trop longue, puis posa le paquet à plat sur la table. James ne savait que répondre. L’attaque était directe, incroyablement effrontée, et pourtant, il sentait que l’amertume du propos n’était pas dirigée réellement contre lui.
— Je n’ai pas à me justifier devant vous, mais sachez qu’à la différence de mon beau-père, je n’ai pas l’habitude de juger un inconnu à sa seule mise et, si je puis me permettre, vous pourriez faire preuve de la même retenue.
L’homme se tourna vers lui. Tout, de son attitude à son regard glacial, évoquait la colère froide et digne de la fierté outragée. Il s’avança vers James, qui releva le menton et serra les poings, bien décidé à ne pas battre en retraite. La muflerie des mâles parisiens ne lui était pas étrangère. Il avait affronté bien pire spécimen dans sa courte vie. Mais un éclair passa dans les yeux gris et James retint son souffle. Quelque chose d’animal avait surgi dans ce regard. Un éclat de… désir ?
— Vous avez raison, répondit le commis.
Le ton avait changé, évoluant de glacial à brûlant. Sa voix était comme transformée, devenant grave et chaude, prédatrice et séduisante à la fois. Il fit un pas de plus vers James.
— Je n’ai pas fait preuve de retenue, je vous prie de m’en excuser, ajouta-t-il.
Il n’avait fallu qu’un instant pour que James se sente de nouveau possédé, projeté dans le vide comme quelques minutes plus tôt dans la salle de ventes. Le commis s’avança encore et James se redressa alors, sentant soudain qu’il était bien à l’étroit entre le meuble derrière lui, les caisses à ses côtés et cet homme qui s’approchait lentement, beau et conquérant, les traits de son visage vibrant d’une intensité électrisante. James ne parvenait pas à retenir ni sa respiration qui s’emballait ni son cœur qui battait à se rompre. Son esprit était un chaos, il ne voyait plus rien, hypnotisé par ce regard qui s’approchait encore jusqu’à ce qu’il se retrouve prisonnier entre deux bras tendus. L’inconnu venait de poser ses deux mains à plat sur le bureau, où il s’était appuyé, le plaquant de son bassin au bois du meuble. Son visage était si près du sien qu’il eut soudain le vertige en plongeant dans les iris à présent d’un magnétique gris acier. James ferma les yeux, mais ne parvint pas à reprendre contenance. Il était enivré de sensations. Inexplicablement possédé par un désir incontrôlé, quelque chose qui s’imposait à lui de façon tout à fait nouvelle, la soif étrange de ce corps masculin pressé contre le sien. Un frisson le parcourut de la nuque au creux des reins, réveillant sa peau, le faisant frémir d’anticipation. Sous la fine barrière de leurs vêtements, il sentait la tension brûlante de leurs deux sexes. C’était de la folie. Jamais il n’avait connu cela… jamais un homme n’avait… Il ne pouvait pas… Il devait… Il perçut le souffle de ce fascinant inconnu venir réchauffer ses lèvres. La gorge atrocement sèche, James avala sa salive. Sa raison se débattait encore, mais son corps avait déjà rendu les armes ; il s’entendit murmurer :
— Faites-le.
C’est alors qu’un éclat de voix résonna violemment dans la grande pièce :
— JAMES ! Mais où est-il enfin ? Croit-il que j’aie tout le temps du monde, celui-ci !
Le commis s’écarta de lui si soudainement qu’on aurait pu croire qu’il avait été électrocuté. Les deux jeunes hommes se regardaient, le souffle court et les yeux écarquillés, encore sous le choc de cette interruption, et surtout de l’intensité avec laquelle ils avaient été attirés. Ernest Autiero parvint enfin jusqu’à eux, accompagné d’un employé de la salle de ventes. James rajusta maladroitement sa mise. Il sentit qu’il avait le rouge aux joues et cette sensation d’être presque pris en faute par son beau-père l’horrifiait. Vers quel abîme avait-il failli tomber ?
— Ah, te voilà ! Alors, ce tableau, est-il prêt ?
Autiero était visiblement très pressé, comme toujours, et son visage crispé par l’énervement lui donnait des airs de bouledogue. Il dévisagea son beau-fils avec un sourcil relevé, un mélange de mépris et de dégoût au bord des lèvres. Il n’avait rien pu voir de leur étreinte éphémère, mais James ne put s’empêcher de frissonner d’une crainte instinctive.
Le commis était affairé à la table d’emballage. Il reposa un crayon dans une boîte d’outils et prit la toile empaquetée, qu’il tendit à Autiero. Celui-ci le regarda comme s’il lui était poussé une deuxième tête.
— Mais, qu’est-ce que vous croyez ? Que je vais prendre ça sous le bras ? Pourquoi donc êtes-vous payé, on se le demande ? Suivez-nous jusqu’au fiacre !
Affolé, l’employé obséquieux qui avait suivi son beau-père vint surgir au milieu d’eux en se fendant d’une courbette.
— Oh, il va s’en occuper, bien sûr. C’est un nouveau, un étranger, un peu simple. Je vous prie d’accepter toutes nos excuses pour ce contretemps malheureux, dit-il en fusillant du regard le commis, qui ne broncha pas.
James en était mortifié, mais ne put que soupirer et suivre son beau-père, qui amorçait la marche vers la sortie d’un pas de conquérant. Ils passèrent la porte de la maison de vente et Évariste, leur cocher, descendit de son siège où il les attendait pour prendre le paquet des mains du séduisant commis. Celui-ci, une fois libéré du tableau, saisit élégamment la poignée de la porte du fiacre et l’ouvrit avec un mouvement de tête qui avait tout de la révérence d’Ancien Régime, un large sourire lui barrant le visage.
— Si ces messieurs veulent bien prendre place, avec les compliments des établissements Drouot ! lança-t-il avec une emphase provocatrice.
Son patron en resta trop estomaqué pour réagir. Quant à James, il ne put réprimer un rire qu’il transforma en toux soudaine lorsqu’il observa qu’Ernest ne goûtait pas l’ironie.
— Cette maison ferait bien de revoir la bonne tenue de ses employés, gronda son beau-père.
Il monta en premier, lourdement et en grommelant. Le commis fit mine, en lui présentant son bras, d’aider à son tour James à monter sur le marchepied. Mais au moment où celui-ci allait saisir cette main tendue, il sentit qu’on lui glissait quelque chose dans la poche de son manteau. James resta un instant interloqué. Un sourire dansait dans les yeux de l’homme face à lui, qui se pencha à son oreille pour lui murmurer :
— Je vous attendrai.
Trois mots, à peine soufflés, mais James les avait bien entendus. Il plongea une dernière fois dans le regard clair de cet inconnu terriblement séduisant, et qu’il ne reverrait sans doute jamais, puis, ne laissant rien paraître de son trouble, monta enfin dans la voiture dont la porte couverte d’un tissu opaque claqua d’un bruit sec.
***
« Pavillon de l’Allemagne, demain midi. Henryk. »
Et c’était tout. Tout ce qu’il y avait d’écrit sur le petit morceau de papier plié que James avait trouvé dans la poche de son manteau en rentrant à l’hôtel particulier familial qui se dressait sur la colline de Passy, à l’ouest de Paris. Un rendez-vous et un prénom : Henryk. Ce fascinant inconnu s’appelait Henryk. Il le prononça tout bas pour en tester le son. H. e. n.r.y. k. Cela lui allait si bien, l’ouverture sur une voyelle aspirée forçant le souffle en un premier soupir, puis les consonnes vives et tranchantes. Henryk. James avait à nouveau le cœur battant. Ces quelques heures, ces quelques minutes, ce presque baiser et maintenant ce rendez-vous ! Tout cela était totalement incroyable, terrifiant. Déraisonnable. Nouveau. Interdit.
— JAAAAAAMES !
Le susnommé cacha immédiatement le message dans un tiroir de son bureau. Une cavalcade dans l’escalier, suivie d’une tornade de jupons mauve qui déboula avec fracas dans sa chambre. C’était Lisbeth, sa petite sœur. Quoique. Petite ? À dix-sept ans, elle était déjà plus grande que lui ! Ses longues boucles blondes, attachées par des rubans parme, cascadaient sur ses épaules. Elle avait les pommettes rondes, le teint éclatant à la lumière d’un sourire communicatif. Elle était charmante, si vive et si belle. James l’adorait.
— Alors, qu’as-tu vu là-bas ? Y avait-il du monde ? Comment étaient habillées les dames ? As-tu rencontré des artistes ? Des marchands étrangers ? Des bohémiens ? Raconte-moi !
Elle le regardait avec de grands yeux, trépignant, n’en tenant plus de l’entendre narrer ses aventures. Mais il ne savait vraiment pas quoi lui dire. Impossible de lui livrer le moindre détail de l’ouragan qui venait de traverser son existence.
— Oh, tu sais, c’est d’un ennui mortel. On s’entasse tous dans une salle qui sent la poussière et c’est à celui qui fera montre du portefeuille le plus fourni. Une fois les poches vides, tout le monde quitte la place et c’est bien tout.
Il haussa les épaules en prenant un air un peu blasé. Lisbeth soupira de dépit.
— Et voilà, toi, tu as le droit de partir en promenade, de voir du monde, de voir des gens, et moi, je dois rester enfermée ici où, au mieux, on m’ignore et, au pire, on m’exaspère. Et tu ne fais même pas l’effort de me raconter ce que je manque. C’est injuste !
La jeune fille prit une moue boudeuse. Depuis quelques mois déjà, James avait bien senti que l’ambiance morose de leur hôtel particulier lui pesait. Lisbeth avait tendance à affûter avec lui son caractère de quasi jeune femme, et, il devait se rendre à l’évidence, il ne resterait bientôt presque plus rien de la petite poupée qu’il adorait dorloter étant enfant. À son grand regret ressurgissait chez sa sœur beaucoup de l’égoïsme capricieux de leur défunte mère. Malgré tout, et comprenant en partie sa frustration, il voulut se montrer réconfortant :
— Tu es mieux à la maison, tu sais. Les rues de Paris ne sont pas la place d’une demoiselle comme il faut.
Ce n’était pas ce qu’il fallait dire et il le comprit trop tard.
— « Comme il faut » ! Comment « comme il faut » ? Comment puis-je savoir si je suis « comme il faut » si je ne peux même pas rencontrer des personnes de mon âge ! Avec l’Autre qui me séquestre à la maison et toi qui m’infantilises. Autant vivre au couvent !
Elle avait haussé le ton, se moquant bien d’être entendue de toute la maison. Son dédain pour son beau-père n’était un secret pour personne. Mais elle ne risquait pas grand-chose : celui-ci ne se préoccupait de son existence que pour essayer de lui faire épouser un riche grabataire avec lequel il pourrait se mettre en affaires. James n’en avait que trop conscience, et faisait tout pour désamorcer les alliances répugnantes qu’Ernest projetait à l’insu de sa belle-fille, et dans l’indifférence de son épouse du temps où celle-ci était encore en vie. Leur mère, Grace Aylin-Autiero, morte un an plus tôt, avait quant à elle abandonné tout attachement maternel, préférant se noyer dans les vapeurs d’opium, et laissant au jeune James la responsabilité de l’éducation de sa ravissante et turbulente sœur. Pas facile de savoir doser entre tolérance et chaperonnage quand on n’a soi-même que vingt et un ans, et des envies de liberté plein la tête. Hélas, il sentait que, les mois passant, Lisbeth devenait de plus en plus indépendante et que, bientôt, son ton paternaliste ne servirait plus à rien.
— Écoute, ma chérie, essaye d’être raisonnable : je ne peux pas te laisser courir les rues, ça ne se fait pas et si tu veux trouver un mari qui…
Une voix railleuse les interrompit :
— Qui paiera pour vous entretenir, ma Chère, plutôt que de rester à vivre comme un parasite à mes crochets !
La phrase grossière les fit se retourner. Ernest Autiero se tenait dans l’embrasure de la porte de la chambre de James. De toute sa hauteur, il regardait le frère et la sœur avec morgue. James sentit la colère le gagner. De quel droit cet homme se mêlait-il des affaires de famille ? De quel droit lui, qui avait vampirisé la fortune de son défunt père jusqu’à les mettre sa sœur et lui en danger de banqueroute, s’autorisait-il à dire que Lisbeth était à sa charge ? James serra les poings à s’en enfoncer les ongles dans les paumes des mains. Garder son calme, absolument, pour que la situation ne s’envenime pas. À côté de lui, sa sœur prit une inspiration pour rétorquer, mais James intervint avant qu’elle ne le fasse :
— Je ne crois pas que ces questions vous intéressent, Monsieur. Lisbeth a simplement envie de se délasser un peu. Les journées d’hiver sont très monotones à Paris.
Hélas, aujourd’hui, son beau-père n’avait pas envie d’apaisement.
— Oui, « se délasser » et traîner comme une gourgandine dans les passages couverts ! Comme si je n’avais pas suffisamment de mal à lui trouver un parti sérieux sans qu’il y ait besoin, en plus, de devoir masquer la déshérence de son éducation !
Devant une telle vulgarité, la jeune fille se tendit d’indignation et son frère n’eut que le temps de lui saisir le bras pour la retenir de souffleter son beau-père. James, lui-même, tremblait de rage ; Ernest venait de sous-entendre clairement que l’éducation qu’il avait tant de mal à donner à sa sœur était médiocre. Il se contint pourtant. Il ne gagnerait rien à braquer Ernest. Celui-ci avait le pouvoir de leur faire vivre un enfer. Lisbeth ignorait, par exemple, que si elle avait échappé au quotidien monacal d’un sordide pensionnat pour jeunes filles, c’était uniquement grâce au sacrifice consenti par James, qui avait renoncé à ses cours du soir à l’université pour pouvoir payer de sa bourse des professeurs particuliers à sa sœur. Alors, il inspira longuement et déclara, du ton le plus posé qu’il puisse trouver :
— Je vais veiller tout particulièrement à ses sorties, vous n’avez pas à vous en soucier. D’ailleurs, demain matin, je compte passer chez mon ami : le docteur Adrien Guimard.
Lisbeth se tourna vers lui, les yeux ronds d’espoir : sortir avec son grand frère, rencontrer ses amis, il savait que la jeune fille en mourait d’envie. Il lui sourit et continua :
— Et Lisbeth m’accompagnera. C’est un jeune homme très convenable et nous pourrons prendre tous les trois un chocolat dans le quartier du nouvel Opéra. Les salons de thé que l’on trouve là-bas suscitaient l’engouement des amies de Mère.
Ernest haussa les sourcils et eut soudain un ricanement méprisant.
— Vous voilà bien renseigné sur les bonnes adresses féminines, James. Je vous croyais uniquement préoccupé de vieux livres poussiéreux et de cabinets de curiosités. Si vous arrivez à dégoter une héritière dans une de ces bonbonnières parisiennes, on finira peut-être par faire de vous un homme !
James eut le plus grand mal à contenir sa colère, qui montait irrépressiblement à l’assaut de son flegme. « Être un homme », la belle affaire ! La définition de la masculinité pour son beau-père se résumait à le vouloir ressembler au fils de son frère, un cousin côté Autiero, aussi abruti que violent, parti depuis des mois en voyage « d’études » dans tous les bordels de Méditerranée. James se mordit la joue. Ne pas répliquer. Cela ne le mènerait à rien. Le bal, marquant les débuts de Lisbeth dans le monde, aurait lieu dans moins de deux semaines, pour la nouvelle année. Un bal somptueux où le Tout-Paris des ambassades et des résidents étrangers serait là pour fêter le siècle nouveau. L’occasion de faire des rencontres avantageuses pour la jeune fille et de lui permettre de trouver un mari convenable qui pourrait la libérer de la maison Autiero. Au vu de l’état désolant de leurs finances, il n’y aurait pas de seconde chance, ce bal allait être le seul et dernier organisé avant que tombent les échéances des créances de leur beau-père. Ainsi, il ne fallait pas qu’il pousse Ernest à bout. L’avenir de sa sœur avait bien plus d’importance que sa virilité outragée. James accusa donc le coup encore une fois, à regret. Il parvint à sourire en se tournant vers Lisbeth, qui semblait n’avoir plus qu’une idée en tête : la sortie du lendemain. Tant mieux, il voulait la voir heureuse.
— Je vais voir avec Helen pour qu’elle m’aide à choisir ma tenue, il me faudra une capeline et un manchon de fourrure ! Il fait si froid ! déclara-t-elle.
Elle filait déjà dans le couloir, ignorant totalement son beau-père, qu’elle bouscula presque. Celui-ci la suivit des yeux et, le visage fermé, tourna un regard dur vers James.
— Ne jouez pas trop au maître de maison avec moi, jeune homme. Pour avoir la paix, je vous laisse faire, mais il se pourrait que ce petit jeu commence à me déplaire.
James lui renvoya son air le plus princier.
— Croyez bien que dès que j’en aurai la possibilité, vous serez débarrassé de notre présence.
Il sortit à la suite de sa sœur. Il n’y avait nul besoin de poursuivre cette conversation. En passant près d’Ernest, il sentit une impression glaciale le parcourir. Cet homme le haïssait. Comment pouvait-on mépriser ainsi quelqu’un qui ne vous avait jamais rien fait de mal ? James chassa ces sombres réflexions de son esprit. Il devait pour l’instant urgemment écrire un mot à son ami Adrien, pour le prévenir de sa venue du lendemain. Ce rendez-vous impromptu, né de son imagination, n’ayant été décidé qu’une minute plus tôt !
***
11 h 17.
Cette horloge posée près de la desserte à gâteaux et sa petite aiguille qui courait après les secondes allaient le rendre fou ! James ne parvenait pas à se concentrer : impossible. Un prénom venait envahir chaque parcelle de son cerveau : Henryk, Henryk, Henryk ! Henryk, qui lui avait donné rendez-vous à 12 heures. Henryk, qui était la personnification du danger autant que du mystère ; Henryk, qui semblait avoir allumé l’étincelle de chaos dans sa vie. Henryk, qu’il aurait été bien plus raisonnable de ne pas revoir.
En cette fin de matinée, Adrien, Lisbeth et James étaient attablés devant un délicieux café à la crème et des douceurs en partie grignotées trônant dans de délicates assiettes de porcelaine. Le salon de thé était idéalement chauffé. L’ambiance douce, les voix discrètes des rares autres clients et la lumière de la matinée d’hiver : tout était infiniment agréable. Et pourtant, James brûlait de partir, de se sauver. D’aller rejoindre cet homme, cet inconnu, Henryk. C’était absurde, il avait tant de choses à penser, à prévoir : le bal du Nouvel An, pour commencer. L’altercation qu’il avait eue, la veille, avec son beau-père, lui avait glacé le sang. La pression se faisait de plus en plus forte sur lui et sa sœur, et James avait à cœur de tenir son rôle de tuteur auprès d’elle. En tant que frère aîné, il était de son devoir de lui assurer un mariage convenable. La société patriarcale faisait retomber sur ses épaules la lourde responsabilité de tout décider pour une jeune fille qui n’était manifestement pas prête à la soumission. Mais la laisser faire à sa guise était hors de question, de même que la livrer aux plans oiseux d’Ernest était inenvisageable. Avec toutes ces préoccupations en tête, James n’avait pratiquement pas fermé l’œil de la nuit. À cela s’ajoutait le rêve brûlant qui l’avait réveillé, cette voix chaude qui était venue le tirer de son sommeil. « Je vous attendrai. »
James sentit ses joues rosir, il déglutit et se tourna en souriant vers son ami, Adrien Guimard. Il était heureux d’avoir pu organiser au pied levé cette sortie avec lui. James n’avait pas tant de camarades que cela. Ces relations mondaines se comptaient sur les doigts d’une main et les quelques personnes dont il appréciait la conversation étaient bien souvent d’anciens compagnons d’études, lunaires et peu fêtards. Pour Adrien, ce portrait se doublait d’une capacité étonnante à la naïve gentillesse, ce qui en faisait un garçon adorable, mais affreusement manipulable.
Le jeune médecin, génialement précoce, avait reçu depuis peu l’autorisation d’exercer en tant qu’assistant auprès d’un honorable professeur dans un hôpital réputé de Paris. James le croyait promis à un avenir brillant, s’il n’avait pas la fâcheuse tendance à passer son temps libre à soigner les nécessiteux de l’hospice plutôt que de courtiser les riches aristocrates migraineuses. Adrien était un jeune homme discret, doux et sans aucun sens du profit ni le moindre intérêt pour la course au prestige qu’offrait une haute situation. Chaperonné par une tante excentrique qui lui accordait la plus grande liberté, il se laissait littéralement porter par la vie et ses évènements, sans souci pour son devenir. Né dans une famille de la petite bourgeoisie, après le lycée, il avait pu poursuivre son instruction à l’université de Médecine, une option inenvisageable lorsque l’on était de noble extraction. Il exerçait à présent comme médecin par pur goût pour les sciences et par curiosité pour l’espèce humaine, et faisait peu de cas de ses finances, vivant dans une sorte d’ascétisme dénué de frustrations. Mais la médecine semblait bien loin de l’esprit d’Adrien en cette belle matinée. En effet, en découvrant, deux heures plus tôt, la charmante Lisbeth, rayonnante dans sa capeline neuve, il avait paru particulièrement timide et pataud. Et depuis, à la place de son habituelle conversation enthousiaste sur telle ou telle découverte de la science que James affectionnait, il ne cessait de balbutier, de remonter ses lunettes et de rougir en baissant les yeux. La jeune fille, bien plus dégourdie que James ne l’aurait souhaité, minaudait sans vergogne et jouait de ses charmes naissant sur le sage médecin. Elle souriait joliment, le regard lumineux. Adrien lui plaisait. Et à n’en pas douter, le sentiment était réciproque.
11 h 25.
Les minutes s’écoulaient pour James, infiniment longues et beaucoup trop rapides. Henryk. Il avait si hâte d’être à ce rendez-vous et tout autant peur d’y aller. S’il voulait rejoindre les pavillons de l’Exposition universelle, de l’autre côté de la Seine, il lui faudrait bien trente minutes à pied, et encore, en marchant d’un bon pas. Lisbeth et Adrien échangeaient des paroles désarmantes de fraîcheur et d’innocence. Les deux jeunes gens étaient si pris dans leur discussion qu’ils l’ignoraient royalement. Et James ne parvenait pas à détacher son regard de l’horloge en faïence qui baladait le temps en d’horripilants tic-tac.
11 h 26.
— James ? Tu es perdu dans la lune ?
Lisbeth venait de le tirer de ses réflexions. Elle riait, les yeux brillants.
— Pardon, tu disais ?
La jeune fille sourit gentiment de sa distraction.
— Le docteur Guimard vient de nous raconter la surprenante histoire de cette dame polonaise. Avec son mari, ils ont découvert un nouveau métal : le radium, n’est-ce pas ? Cela a des propriétés tout à fait étonnantes, tu sais !
— Oh, mademoiselle Lisbeth, James est déjà au courant de cela, voilà bientôt un an que cette découverte a été présentée à l’Académie par les époux Curie. Votre frère est toujours très au fait des progrès de la science.
— Oui, je sais maintenant de qui il tient son savoir ! répliqua Lisbeth en envoyant un sourire mutin à Adrien, qui en rougit de plus belle.
Décidément, la jeune fille en faisait ce qu’elle voulait. James s’amusa de la candeur de son ami. Adrien n’était pas très au fait des jeux de la séduction. À vingt-cinq ans tout juste, il n’avait que très peu sorti son nez des livres et des amphithéâtres de la faculté de médecine, sauf pour suivre son professeur et maître à l’hospice. La vie mondaine l’effrayait sans doute un peu. Mais, derrière son tempérament lunaire, le jeune docteur était d’une confondante générosité, et James ne le remercierait jamais assez de lui avoir permis de partager gratuitement nombre des enseignements dont il profitait à la faculté. Alors aujourd’hui, il était heureux de le voir recevoir des compliments.
11 h 30.
Henryk.
— James, je pensais passer au Bon Marché afin de m’acheter une nouvelle paire de gants en soie, pour aller avec ma robe crème. Veux-tu bien que nous y allions ? demanda Lisbeth.
James soupira. Il avait promis à sa sœur des distractions pour la journée et voilà qu’il n’avait qu’une envie : c’était de fuir pour rejoindre un parfait inconnu sur un chantier de foire !
— Je… En fait, il me revient à l’esprit que j’avais prévu un rendez-vous à 12 heures. Ne pourrions-nous pas décaler cela à demain ? hasarda-t-il, cédant à la tentation qui lui mangeait la raison.
— Oh, s’il te plaît ! Adrien – oh, pardon –, le docteur Guimard pourrait nous accompagner ! insista-t-elle dans un petit rire.
Toutefois, James garda, malgré le sourire désarmant de sa sœur, le sens des convenances.
— Je ne sais pas si c’est une très bonne idée, ce genre d’endroit… Tu sais qu’une jeune fille comme il faut ne va là-bas qu’accompagnée d’une domestique ou de sa mère. Avec deux hommes, ce serait risquer de te faire passer pour je ne sais quoi.
Lisbeth commençait déjà à froncer les sourcils lorsqu’Adrien, surprenant James par sa soudaine témérité, lui vint en aide :
— Veuillez m’excuser, il est vrai que les grands magasins ne sont pas des lieux recommandables pour une personne de votre qualité, Mademoiselle Lisbeth. N’y aurait-il pas une autre promenade que vous souhaiteriez faire ?
James vit sa sœur, sans doute radoucie par le ton du jeune médecin, changer d’expression et, en un instant, repartir sur une autre idée :
— Vous avez sans doute raison… Hum, eh bien… j’adorerais aller découvrir la nouvelle patinoire du Palais des Glaces, c’est très à la mode, même Helen y est allée ! Elle m’a dit que c’était un lieu très bien fréquenté. Et ce n’est pas si loin, c’est sur les Champs-Élysées. Je peux bien juste regarder les patineurs depuis la balustrade si tu ne veux pas que je m’aventure sur la glace.
11 h 35.
En voyant l’enthousiasme briller dans les yeux de sa sœur, James fit taire sa frustration. Henryk. Non, c’était de la folie. Que pouvait-il attendre de ce genre de rendez-vous ? Un frisson le parcourut. Cet homme. Henryk. Cet homme affolant d’insolence avait le parfum de liberté, du mystère et de toutes ces passions que l’on ne devait pas suivre quand on faisait partie d’un monde respectable. Tout cela était bon pour les livres d’aventures, les voyages d’un Jules Verne ou les exotismes d’un Pierre Loti. Dans sa vie à lui, effroyablement réelle et dénuée de fantasques péripéties, James ne pouvait se permettre cette liberté. Ni maintenant ni jamais. Tout cela était interdit. C’était jouer avec le feu, c’était… C’était impossible.
« Je vous attendrai. »
James soupira et sourit à sa sœur.
— Bien. Va pour la patinoire. Je vais régler nos consommations et nous y allons.