Livre 1

Sombre mutation

 

Chapitre 1

Le feu de cheminée qui crépitait bruyamment derrière l’agent Simon Geoffroy projetait des ombres inquiétantes sur l’ensemble de la bibliothèque murale. Impressionné par la quantité de livres présents dans la pièce, le jeune homme leva le menton vers les étagères qui s’élevaient jusqu’au plafond, se faisant la réflexion que son nouveau client était manifestement quelqu’un de riche et de cultivé.

Quoique l’un n’implique pas forcément l’autre, reconnut-il en enfouissant les mains dans les poches de son pantalon.

Nombreux étaient en fait les collectionneurs d’éditions rares n’ayant jamais ouvert un livre de leur vie, plus appâtés par la valeur mercantile de leur acquisition que par son contenu.

Simon Geoffroy, lui, aimait la lecture depuis qu’il était en âge de saisir le sens des mots. L’hiver au coin du feu, étendu dans un parc au soleil, assis à la terrasse d’un café, l’endroit importait peu dès lors qu’il pouvait se plonger dans un univers rocambolesque, une fiction palpitante ou plus rarement une saga historique.

Une véritable passion qu’il avait partagée avec son grand-père, Aaron Geoffroy, illustre chercheur et professeur d’histoire. À bien des égards, les deux hommes considéraient l’écriture comme la plus importante des découvertes humaines, bien loin devant l’invention de l’outil ou encore la maîtrise du feu. Simon avait toujours entendu son aïeul affirmer que l’écriture était le cadeau d’un dieu mésopotamien, connu en Égypte sous le nom de Thot, et non pas le produit de l’intelligence humaine.

Mais en dépit de tout ce qu’il savait, après tout ce qu’il avait vu d’étrange et de surnaturel au cours de sa jeune carrière au service de la Confrérie des Chasseurs, Simon n’en avait jamais rien cru. Pour lui, seule l’humanité était à l’origine des premiers mots et certainement pas un démon primitif, vieux de quelque 3300 ans !

Attiré par la diversité des ouvrages alignés sous ses yeux, il se pencha sur le côté pour étudier certains titres. Quelques-uns lui étaient familiers comme : le Traité sur le mal de saint Thomas d’Aquin ou le célèbre Histoires et civilisations de Friedrich Schwarz. D’autres en revanche lui étaient totalement inconnus, à l’instar des Contes et nouvelles : la réalité derrière les mots ou le mystérieux Sous les pavés, l’enfer : Petit traité de démonologie.

Intrigué par ce dernier exemplaire, Simon glissait une mèche de cheveux derrière son oreille droite et tendait l’index vers la reliure lorsqu’une voix très grave s’élevant dans son dos le poussa à se redresser.

― Monsieur Geoffroy ? 

Simon se retourna pour découvrir dans l’embrasure de la porte un homme barbu d’une quarantaine d’années, particulièrement élégant. Il ne put s’empêcher de relever chez son hôte la crinière de jais, les traits virils et le regard de braise. Le V que formaient les deux pans de sa robe de chambre laissait entrevoir une profusion de poils sombres. Simon eut tout de suite envie d’y glisser les doigts.

Le propriétaire de la demeure s’avança vers lui pour lui serrer la main.

― Monsieur Delambre, présuma Simon. Je suis ravi de vous rencontrer.

― Je vous en prie, appelez-moi Tristan.

Sa voix était pleine d’assurance, plaisante à écouter. Sa poignée de main était ferme, sans être trop autoritaire. Simon ignorait l’objet de sa rencontre avec Tristan Delambre, mais cela devait être suffisamment important pour que madame Wong, sa supérieure hiérarchique, lui enjoigne de se rendre dare-dare dans le quartier huppé de la ville un jeudi soir.

Tristan Delambre désigna deux fauteuils en cuir marron et invita Simon à s’asseoir.

― Je vous sers quelque chose ? proposa-t-il dans la foulée. Un bourbon, peut-être ?

Ce n’était pas l’envie qui manquait à Simon. La semaine avait été difficile, sa dernière mission tout autant. Il manquait de sommeil et, pour couronner le tout, l’aura charismatique du quadragénaire le rendait nerveux. Une dose de whisky l’aurait volontiers aidé à se détendre.

― Un verre d’eau fera parfaitement l’affaire, répondit-il néanmoins.

― Plate ou gazeuse ?

― Gazeuse, merci.

Tristan Delambre arborait une stature athlétique. De toute évidence, il s’agissait d’un homme qui prenait soin de lui. Avec son large dos et ses épaules développées, Simon le suspectait de pratiquer la natation depuis de nombreuses années.

― C’est tout à fait juste, confirma Tristan en s’éloignant du bar pour le rejoindre avec les boissons.

― Excusez-moi ? bafouilla Simon, quelque peu surpris, avant d’attraper le verre qu’on lui tendait.

Son hôte prit place dans son siège. Ses longues jambes poilues croisées devant lui laissèrent supposer à Simon que Tristan Delambre était nu sous son peignoir de nuit. Cette idée ne fit qu’aggraver son trouble naissant.

— Vous préjugiez à l’instant même que je nageais. Je m’y astreins au moins trente minutes chaque matin.

Simon sourit en hochant la tête.

― Vous lisez dans les pensées, dit-il.

Tristan lui retourna son sourire en portant son verre à ses lèvres.

― Effectivement.

L’homme scruta longuement Simon, au point que la situation en devint presque embarrassante.

― Je me demandais comment vous connaissiez l’existence de la Confrérie, déclara l’enquêteur au bout d’un moment.

― Pour ne rien vous cacher, j’y ai exercé mes talents pendant un temps. Rien de bien méchant, rassurez-vous. Ce fut néanmoins une expérience des plus enrichissantes. Un bon souvenir, même. À présent, je me contente d’être un de vos plus fidèles mécènes. Une maigre contribution au regard du travail que vous accomplissez chaque jour, entendons-nous bien.

― Je vois, fit Simon. Et pour quelles raisons vous a-t-on sollicité exactement ?

De fines pattes d’oie se formèrent au coin des yeux de son interlocuteur lorsque celui-ci sourit.

― Vous connaissez le code de la Confrérie autant que moi.

Les deux hommes reprirent à l’unisson la devise de l’agence.

― Le silence est d’or, parole de morts.

Simon inclina la tête.

― Bien, fit-il en sortant un calepin et un stylo de son imperméable. En quoi la Confrérie peut-elle vous être utile, monsieur Delambre ?

― Madame Wong m’a assuré que vous étiez un de ses éléments les plus prometteurs. D’après elle, vous manquez parfois d’audace, mais vous avez un certain talent.

Simon se sentit à la fois flatté et embarrassé par le compliment.

Un long silence s’étira entre les deux hommes durant lequel Simon se perdit dans la contemplation de son client. Sa bouche était une invitation à la luxure. Deux lèvres épaisses encadrées par une profusion de poils soyeux et qui ne demandaient qu’à être goûtées.

Elles doivent avoir la saveur du malt, s’imagina-t-il.

Une bouffée de chaleur le fit brusquement rougir et il se resserra sur lui-même.

Qu’est-ce qui te prend ? Reprends-toi, mon vieux, se gronda-t-il. C’est un client.

Gêné à l’idée que Tristan Delambre pût ressentir son trouble, il toussota pour se donner un peu de contenance.

― Dans ce cas, dit-il, en quoi puis-je vous aider ?

Les glaçons dans le verre de Tristan tintèrent lorsqu’il leva le coude pour siroter sa boisson.

― Je veux que vous retrouviez ma nièce, annonça-t-il froidement. Je crains qu’elle n’ait été enlevée.

― Qu’est-ce qui vous fait croire que votre nièce pourrait être en danger, monsieur Delambre ? 

― Tristan, lui rappela ce dernier. J’insiste.

― Pardon. Tristan.

Triiisssstan, soupira silencieusement Simon. Même son prénom a quelque chose d’érotique.

Il se risqua à contempler quelques secondes de plus le visage de son hôte. Le front haut attestait d’une grande intelligence, disait-on, et les yeux bleus d’une certaine sensibilité.

Les lignes de son cou sont…

Tristan Delambre se racla la gorge.

― Personne n’a eu de ses nouvelles depuis hier matin.

― Cela ne veut pas dire qu’il lui soit arrivé quelque chose, répondit Simon en prenant des notes. Quel âge a votre nièce ?

― Vingt-deux ans.

― Beaucoup de jeunes gens sortent pour aller s’amuser avec des amis, observa Simon.

― Caroline n’est pas du genre à se faufiler en pleine nuit pour rejoindre je ne sais quelle fête estudiantine. C’est une élève appliquée qui a reçu une certaine éducation. De surcroît, jamais elle ne serait partie sans m’avertir.

Delambre cessa de parler, vida son verre d’un trait puis se leva pour aller s’en resservir un second. Durant tout le temps où il fut au bar, Simon ne lâcha pas ses mollets du regard.

― Je suis un homme influent dans cette ville, expliqua Tristan Delambre en regagnant sa place.

― J’en suis convaincu.

― Des personnes mal intentionnées trouveraient en ma nièce le moyen sordide de m’atteindre.

― Vous pensez à un kidnapping ?

― J’envisage toutes les possibilités. 

― Si cela avait été le cas, il est certain que vous auriez eu des nouvelles du ou des ravisseurs.

― Ce qui m’inquiète le plus, c’est que j’ai perdu tout contact psychique avec Caroline. Ce n’est jamais arrivé jusqu’à présent.

Simon remua.

― Votre nièce est télépathe comme vous ?

Tristan s’empressa de confirmer.

― Son père et moi sommes issus d’une longue lignée de Lecteurs. C’est ainsi que nous sommes appelés. Notre famille a la capacité d’entendre les pensées, de contrôler certains esprits simples et de flirter avec la télékinésie, même si je dois reconnaître que dans ce domaine, je ne suis pas très doué.

― Votre frère…, débuta Simon.

― …est décédé avec sa femme dans un accident de voiture lorsque Caroline avait douze ans.

― Je suis navré de l’apprendre.

― Je considère Caroline comme ma propre fille.

Le whisky faisait briller les lèvres de Tristan. Simon serra ses doigts autour de son crayon. Le type assis en face de lui était tellement attirant, masculin, séducteur, qu’il n’arrivait pas à se concentrer. Tristan possédait ce genre de magnétisme sexuel propre aux hommes qui avancent en âge. Simon imagina ses mains sur lui, sa langue léchant sa nuque. La chaleur dans la pièce semblait avoir augmenté sans raison.

Il s’autorisa à se défaire de son imperméable et le posa près de lui.

― Est-il envisageable, questionna-t-il ensuite, que Caroline ait délibérément rompu la connexion avec vous ?

― Pourquoi ferait-elle une chose pareille ? s’indigna Tristan.

― Suite à une dispute, par exemple ?

― Nous nous entendons très bien.

― Peut-être avait-elle envie d’un peu d’intimité.

― L’intensité du lien peut être atténué jusqu’à devenir une vague impression, un voile si vous préférez, mais je ne peux pas totalement me déconnecter d’elle, sauf…

― Sauf en cas de décès, supposa Simon.

― C’est la raison pour laquelle je suis très inquiet.

Simon sirota une gorgée de son eau pétillante et reposa son verre. De minuscules bulles effervescentes éclatèrent dans sa gorge. Il reporta une nouvelle fois son attention sur Tristan Delambre. Son client faisait preuve d’un calme redoutable pour quelqu’un qui avait perdu un membre de sa famille.

Un tel contrôle de soi force le respect, songea-t-il. Ou le soupçon. Si j’étais persuadé que ma nièce était en danger, je ne serais pas aussi détendu.

― Lui connaissez-vous des ennemis ? interrogea-t-il son interlocuteur.

― Pas à ma connaissance.

― A-t-elle des amis ?

― Une quantité inouïe.

― Un petit copain ?

― Un dénommé Gontran. Tout aussi passionné par la médecine que ma nièce. Je ne l’ai rencontré que deux ou trois fois. Il m’a semblé tout à fait charmant au demeurant.

― Je vais avoir besoin de ses coordonnées si vous les possédez, ainsi que celles des personnes avec lesquelles Caroline est en contact.

― Naturellement, bien que je doute qu’aucun d’entre eux ait quelque chose à voir avec sa disparition.

― Vous seriez surpris du nombre d’homicides impliquant des conjoints ou des parents proches, attesta Simon.

Tristan Delambre encaissa l’allusion sans broncher. Il décroisa les jambes, écarta légèrement les cuisses, ce qui ne fit qu’augmenter l’inconfort de son interlocuteur.

― Je suis prêt à tout pour retrouver ma nièce, monsieur Geoffroy, affirma-t-il. J’y mettrai tous les moyens, soyez-en convaincu.

Cela ne vous retire pas pour autant de la liste des suspects, raisonna Simon en baissant ses yeux bleus vers l’entrejambe de son client.

Une bouffée de chaleur l’irradia aussitôt.

Le désir, avait-il lu quelque part, a ceci de particulier qu’il frappe n’importe où, n’importe quand et sans la moindre logique.

À quand remontait sa dernière partie de jambe en l’air ? À deux semaines ? Trois ?

Un soir avec un inconnu, se souvint-il. Après avoir échangé quelques phrases sur un site de rencontre.

Ceci expliquait sûrement son engouement pour le brun torride ici présent.

C’est un client, se réprimanda-t-il. Et on ne couche pas avec les clients.

Il referma son carnet et attrapa son manteau.

― Je me mets au travail tout de suite, dit-il en se levant.

― Je vous en suis très reconnaissant.

Tristan resta dans son fauteuil, mais suivit Simon du regard.

― Avant de partir, monsieur Geoffroy, prononça-t-il, puis-je vous donner un petit conseil ?

― Naturellement, répondit Simon.

Tristan Delambre esquissa un léger sourire en coin.

― Vous devriez apprendre à mieux dissimuler vos pensées, jeune homme.

Chapitre 2

― Tu dois avoir des origines finlandaises, peut-être suédoises pour être aussi blond, déclara Daniel, un serveur rencontré dans un bar.

― Crois-tu ? se moqua Martin en tirant nonchalamment sur un joint.

― Tu as un léger accent quand tu parles, souligna le jeune homme en se redressant pour s’asseoir en tailleur. Ce n’est pas flagrant mais quand même, ça prouve que tu n’es pas d’ici.

― Je n’ai jamais réussi à m’en débarrasser. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé.

― Pourquoi ? C’est très sexy. Allez, dis-moi ? C’est quoi ton nom de famille ?

Martin sourit.

― Keller.

― Allemand ! s’exclama Daniel. J’aurais dû y penser.

― Je suis né en Bavière, confirma Martin.

― Je n’ai encore jamais couché avec un Allemand, déclara Daniel en faisant courir ses longs doigts osseux sur l’aine du fumeur, avec l’idée de le chauffer un peu. Je suis plutôt branché rebeux ou métisses d’habitude.

― Qu’est-ce qui t’a fait changer d’avis ?

― Ton regard perçant, je crois, et ton air à la James Dean.

Daniel fit courir la pulpe de son index sur toute la longueur du bras gauche de Martin en suivant le réseau bleuté de ses veines. De sa main libre, Martin lui tendit son joint puis inspira profondément l’air ambiant du studio pour s’imprégner des fragrances de cannabis, de bière et de sueur. À travers ces différentes couches olfactives, il discerna celle d’autres hommes, d’anciens amants venus forniquer avec le serveur, ainsi qu’une vague odeur de foutre persistante.

Cette piaule est un véritable taudis, observa-t-il en balayant la pièce du regard.

Elle était loin l’époque où il logeait dans de luxueux bordels en compagnie de gigolos et de prostitués ; et comme il regrettait le temps où il partageait la chambre à coucher de riches hommes d’affaires dans le Londres des années 90.

Daniel aspira une bouffée âcre et la retint quelques secondes dans ses poumons pour mieux la recracher au-dessus de lui. Après avoir posé son mégot dans un cendrier plein à craquer, il se pencha pour prendre le pénis mou de Martin dans sa bouche et le suçoter. Le jeune homme fit plusieurs fois tourner sa langue autour du gland, le serra doucement entre ses lèvres, mais la chair demeura inexorablement flasque.

Il releva le menton en ne cachant pas sa déception.

― Je ne te plais plus ? s’inquiéta-t-il en tentant de revigorer son amant d’un mouvement souple du poignet.

― Il faut que je boive un peu, expliqua Martin.

― Tu veux une autre bière ?

Martin s’amusa de tant d’ignorance.

― Oui, acquiesça-t-il. Je veux bien une autre bière.

Le garçon sauta du lit et déambula, totalement nu, jusqu’à un petit frigo encastré sous un évier dans lequel s’entassaient au bas mot trois jours de vaisselle sale. Martin en profita pour l’examiner des pieds à la tête. Tout chez Daniel exprimait la jeunesse. De son sexe tendu jusqu’à son faciès de jouvenceau légèrement rosé par l’excitation, en passant par son joli petit cul imberbe.

― Quel âge as-tu, au fait ? l’interrogea Martin.

― Je viens d’avoir vingt et un ans.

Martin ne put s’empêcher de sourire en pensant à leur différence d’âge. Il ne se rappelait plus l’effet que ça faisait d’être aussi jeune. Son insouciance lui paraissant si lointaine, d’un autre temps.

― Tu ne dois pas être beaucoup plus vieux que moi, ricana Daniel.

La lumière du frigo éclaira son visage, projetant des ombres sous ses yeux qui lui donnèrent, l’espace de quelques secondes, l’aspect d’un démon.

― Tu serais surpris, déclara Martin en récupérant le joint pour tirer une latte.

― C’est la première fois que je te vois au club, fit Daniel en refermant la porte du réfrigérateur. Tu viens d’arriver en ville ?

Martin secoua la tête.

― Je suis arrivé il y a plusieurs semaines, déjà.

― Tu étais où avant ?

― J’ai voyagé un peu partout à travers l’Europe. Mais j’ai longuement séjourné à Londres.

Martin se tourna pour écraser son mégot. Il décapsula ensuite la bouteille que Daniel lui tendit et but une gorgée sans réellement l’apprécier. Sa boisson était fraîche mais fade, sans goût.

Comme tout le reste depuis quelque temps.

Martin sentit la mauvaise humeur le gagner. Sur la table de chevet, le réveil indiquait trois heures du matin.

Il reposa sa bière.

― Tu ne m’as pas dit ce que tu faisais dans la vie ? lui reprocha Daniel.

― Parce que tu ne m’as rien demandé.

― Tu es étudiant ?

― Non.

― Chômeur ?

― Non.

― Tu es toujours aussi peu loquace ?

Martin haussa vaguement les épaules. Levant sa main droite, il attira son compagnon vers lui et l’embrassa. Ses lèvres étaient fiévreuses.

Les siennes devaient être glaciales.

― Tu es gelé, remarqua Daniel.

― Ça ira mieux dans quelques minutes, lui assura Martin en se redressant sur les coudes pour finalement s’asseoir dans le lit.

Tel un félin, Daniel vint confortablement se lover au-dessus de lui, remua le bassin en dessinant des cercles langoureux pour forcer son partenaire à se raidir. Ce dernier accompagna les mouvements provocateurs de ses hanches sans lâcher sa nuque du regard, lorgnant sur le réseau de veines qui courait sous sa peau. Martin fit glisser ses doigts dans le dos bouillant de Daniel, lui soutira quelques frissons, puis plaqua ses mains glaciales sur l’arrondi de son fessier. Entourant la taille de son compagnon avec ses jambes, Daniel s’agrippa à son cou pour se frotter lascivement contre son pénis. Le serveur était en transe, détendu, prêt pour une bonne partie de baise.

Du moins était-ce ce qu’il espérait car, aussi excité fût-il, une petite voix intérieure persistait à lui dire qu’il n’obtiendrait pas grand-chose ce soir. Daniel connaissait les hommes, surtout ceux qui venaient au Central Night. La majorité d’entre eux ne cherchait rien d’autre que du sexe. Un plan cul de quelques heures, un coup vite fait entre les vapeurs d’alcool et un shoot de poppers, une pipe avant de retourner auprès de bobonne. Ce Martin, là, qui le fixait avec ses petits yeux marron glacé, n’était pas de cette trempe. Il n’avait pas accepté de le suivre chez lui pour simplement s’envoyer en l’air. Il voulait autre chose et s’il prenait la peine de se l’avouer, Daniel dirait qu’il lui faisait un peu peur.

― J’ai envie de toi, susurra-t-il pourtant. J’ai envie que tu me baises.

Et c’était vrai.

― Rien ne presse, déclara Martin en relâchant son emprise pour souligner du pouce la ligne de la mâchoire du jeune fougueux.

À l’aide de son ongle aussi effilé qu’une lame, il lui érafla la joue droite sur deux centimètres. Dans l’excitation grandissante, le garçon ne sentit rien. Un filet de sang rouge apparut, tranchant radicalement avec la pâleur de sa peau. Une gouttelette perla même mais, de la pointe de la langue, Martin s’empressa de la faire disparaître.

Daniel y vit enfin une marque de désir, un baiser innocent, la promesse d’une nuit torride. Il se trompait lourdement. L’entaille n’était pas suffisante pour réveiller l’ardeur de Martin, même si elle avait eu le mérite de titiller sa nature profonde. L’envie de plonger ses crocs de vampire dans la tendre chair de son hôte se fit bientôt pressante, mais il se retint de tout carnage, soucieux de faire durer le jeu, ne serait-ce que quelques minutes supplémentaires. Il approcha doucement sa bouche de celle de Daniel, fit mine d’hésiter un instant, nargua son amant puis finalement l’embrassa.

Lorsque la langue experte du vampire s’anima autour de la sienne avec une incroyable justesse, le barman ressentit comme un électrochoc.

Puis soudain au beau milieu du baiser, ce dernier protesta.

― Aïe ! s’exclama-t-il en portant deux doigts à sa bouche. Tu m’as mordu !

― Pardon, s’excusa Martin sans le penser une seule seconde.

Daniel fronça les sourcils en passant la langue sur sa lèvre fendue, un brin contrarié, puis se ravisa devant le sourire ravageur de son partenaire.

― On va dire que ça pimente un peu le jeu, susurra-t-il en glissant ses doigts dans les cheveux courts de Martin pour mieux l’embrasser et le renverser sur le lit.

L’odeur intime de Daniel associée au goût cuivré de son sang flottant tout autour de lui acheva d’enivrer le vampire. Les deux hommes s’embrassèrent longuement, se caressant l’un l’autre avec vigueur et désir. Toutefois et contrairement aux attentes de Daniel, Martin ne ferait pas l’amour avec lui. Pour lui, l’ébat sexuel était le prolongement des émotions, l’expression physique des sentiments, la connivence entre deux êtres qui s’aiment.

S’il lui arrivait de baiser ses victimes, c’était uniquement parce que sous l’effet du coït, leur cerveau sécrétait des substances qui enrichissaient le sang. Dans le cas présent, Martin ne prendrait aucun plaisir à s’accoupler avec Daniel. Tout ce qu’il voulait, c’était se nourrir.

Finalement, il perdit patience.

Assez joué, décida-t-il.

En moins d’une seconde, il enferma sa proie dans ses bras. Les os de sa victime craquèrent. La pression exercée fut telle qu’une artère gonflée se dessina le long de sa nuque. Martin y planta rapidement ses canines. Ses lèvres se soudèrent fermement à la plaie sanguinolente et il aspira sans s’arrêter.

Les premières gouttes de sang sur ses papilles lui donnèrent un léger coup de fouet puis dès que le flot devint plus dense, il frissonna d’extase. Boire du sang humain lui procurait toute une palette de sensations grisantes. Daniel se crispa de surprise, chercha son souffle. Un son voulut s’échapper, mais il mourut dans sa gorge.

Martin accentua son emprise en avalant le liquide épais à grandes lampées. Il sentit son estomac se remplir et la sérénité réchauffer ses membres. Son teint brouillé reprit des couleurs, ses cheveux retrouvèrent leur brillance naturelle, sa peau se tonifia. Progressivement, les douleurs musculaires qui le faisaient souffrir un peu plus tôt et les crampes qui tétanisaient son corps disparurent. L’énergie de Daniel lui redonnait force et vitalité. Ce dernier, traumatisé par l’expérience, essaya dans un ultime effort de se dégager, mais son agresseur, tel un véritable python, resserra ses anneaux, croisa ses jambes dans son dos afin d’augmenter la pression.

Le venin sécrété par le vampire se diffusa dans tout son système, opérant comme un relaxant, et Daniel cessa finalement de lutter. De plus en plus affaibli, celui-ci finit par perdre connaissance. Sa tête pencha lourdement sur le côté avant de retomber contre l’épaule de son bourreau. Puis, sans s’en rendre compte, il sombra dans un profond sommeil duquel Martin savait qu’il ne se réveillerait jamais.

Chapitre 3

Le cadavre est froid, constata Simon Geoffroy en consultant l’heure à son poignet.

À vue de nez, la mort remontait au milieu de la nuit, mais un légiste serait plus à même de confirmer son hypothèse. L’exsanguination et les deux marques au niveau du cou indiquaient très clairement l’œuvre d’un vampire. Simon renifla l’atmosphère souillée de la chambre de bonne. Une confusion de senteurs chargée en sperme, en sang, mélange de sueur et de tabac froid, imprégnait la scène du crime. Il releva également un subtil voile de cannabis.

Simon enfila une paire de gants en latex pour inspecter le corps.

Pauvre gosse, pensa-t-il en s’accroupissant près de lui.

Ce n’était pas la première fois que Simon était confronté à un cadavre, mais cela lui faisait toujours le même effet lorsque la victime avait toute la vie devant elle. Après un rapide coup d’œil sur les marques au cou, il se redressa et remonta le drap pour couvrir les jolies fesses rondes du garçon. Même dans la mort, ce dernier méritait un peu de dignité.

Il observa son visage un instant, s’attarda sur ses lèvres bleues puis embrassa la pièce d’un seul regard. Un désordre sans nom régnait dans la chambre. Des sacs de fringues étaient entassés dans les coins, des cendriers pleins trônaient un peu partout, des bouteilles de bière vides tenaient compagnie à des cartons d’emballage de pizza sur le sol.

Simon reporta son attention sur le corps sans vie.

Le ménage, ce n’était vraiment pas ton truc, hein ?

Derrière lui, sur le pas de la porte, une large silhouette apparut.

― Magne-toi, Mofwazé ! entendit-il dans un fort chuchotement. Je ne vais pas pouvoir retenir les curieux très longtemps.

Simon fronça les sourcils et glissa une mèche derrière son oreille, un tic qu’il devait à la longueur de ses cheveux. Il détestait ce surnom et son ami l’inspecteur Franck Cori le savait. À la recherche d’un indice quelconque, il balaya une dernière fois la pièce du regard, récupéra une photo de la victime ainsi qu’une petite carte verte trouvée dans la poche arrière d’un de ses jeans.

― J’arrive, dit-il.

Simon rejoignit l’inspecteur de police dans le couloir au moment même où une vieille femme sortait de chez elle, nouant sa robe de chambre. Gagnée par la curiosité, la voisine s’avança en questionnant les deux hommes sur les raisons de leur présence.

― Police, fit l’inspecteur Cori en dévoilant son identité. Retournez dans votre appartement, s’il vous plaît, Madame.

― C’est le petit brun, n’est-ce pas ? Il lui est arrivé quelque chose, c’est ça ?

― Rentrez chez vous, Madame, insista Cori.

― Ça ne m’étonne qu’à moitié, déclara la voisine en ignorant sa requête. Vous voulez mon avis ? C’est un de ses amants qui a fait le coup. Ça n’arrête pas. Du matin au soir. Des hommes tout le temps. Un jour ou l’autre, ça devait bien finir par arriver.

La vieille dame se pencha légèrement pour jeter un œil dans la chambre, mais Franck Cori s’interposa en barrant l’accès de ses énormes bras.

― Je vous ai demandé de rentrer chez vous, dit-il en grossissant sa voix.

La curieuse obéit, non sans pousser quelques râles de protestation. Une fois débarrassé d’elle, Simon s’adossa au mur en croisant les bras devant lui.

― Merci de m’avoir appelé, dit-il.

― À ton service, mon pote.

― Mais ce n’est pas la personne que je recherche. Je suis sur les traces d’une jeune femme qui a disparu.

― En règle générale, c’est pas du ressort de la police, les disparitions ?

― Son oncle contribue au financement de la Confrérie par le biais d’une donation annuelle plutôt conséquente.

― Ça ne justifie pas l’intervention de l’agence, fit remarquer Cori.

― La fille est dotée de certaines capacités psychiques.

― Je vois, fit le flic en secouant la main. Bah, tu vas bien finir par la retrouver. Médium ou pas, les filles de riches, ça ne va jamais très loin, tu sais. Tôt ou tard, elles décuvent et rentrent chez elles.

Franck Cori était un ancien membre de la Confrérie des chasseurs reconverti en flic après dix ans de bons et loyaux services. Bien que Simon ait trouvé la démarche quelque peu surprenante, pour ne pas dire brutale, Cori affirmait qu’il s’agissait d’une décision mûrement réfléchie.

En tout cas, Simon n’avait rien fait pour le dissuader de quitter l’agence.

― J’approche des quarante ans, lui avait confié Franck un soir, alors qu’ils étaient tous les deux planqués dans une voiture banalisée à surveiller une femme soupçonnée d’être une succube. J’en ai marre de ces conneries. Je veux passer à autre chose. Ma femme me manque et je veux consacrer plus de temps à mes filles, les voir grandir. Tu comprends ?

Bien sûr qu’il comprenait. La chasse aux monstres, ça allait cinq minutes.

Originaire des Antilles, l’inspecteur Cori dépassait facilement Simon de quinze centimètres et pesait dans les cent kilos. D’emblée, ce n’était pas le genre de type à qui l’on venait chercher des poux, mais une fois qu’on le connaissait, on réalisait à quel point c’était un homme d’une profonde gentillesse et d’une fiabilité sans bornes.

Sur le terrain, Simon avait tout appris de lui.

Cori se racla la gorge, l’extirpant de ses souvenirs.

― C’est un vampire qui a fait le coup, n’est-ce pas ?

Simon confirma.

― Saloperie, jura le flic. Je croyais que la Confrérie avait exterminé le dernier nid, il y a six mois de cela ?

Simon haussa les épaules.

― Ce n’est pas à toi que je vais apprendre que les vampires sont pires qu’une colonie de rats. Il suffit d’un rescapé, d’un seul, et c’est suffisant pour qu’ils reviennent plus nombreux que la veille.

― On n’en viendra jamais à bout de toutes ces merdes, hein ? Je vais te dire, je suis bien content de ne plus faire partie de tout ce bordel.

Les hommes et les créatures de la nuit marchaient côte à côte depuis que le monde était monde. Et depuis la nuit des temps, les deux camps se livraient une guerre féroce.

― Autrefois, lui rappela Simon, ce sont elles qui nous poursuivaient. Aujourd’hui, on les abat à coup de balles en argent et de pieux parfaitement aiguisés. Y a quand même du mieux, tu ne trouves pas ? 

― Si tu le dis, Mofwazé, rétorqua Franck Cori, visiblement peu convaincu.

― Ne m’appelle pas comme ça, rouspéta Simon.

― Allez, je plaisante ! explosa Cori en lui donnant une tape dans le dos qui lui fit perdre l’équilibre. Tu es devenu trop sérieux en prenant de l’âge.

― Tu l’étais tout autant quand tu bossais à la Confrérie.

― Je suis sûr que non !

Simon se décolla du mur.

― Ça ne te manque pas trop ? questionna-t-il son ex-collègue.

― Absolument pas ! Je suis bien content de ne plus courir après les monstres, les chimères et autres bestioles de l’ombre. Aujourd’hui, je poursuis des petits délinquants, traque des dealers et ça me va très bien comme ça.

― Pourtant tu sais qu’ils existent. Tu sais qu’il y a toujours une créature cachée quelque part, prête à bouffer un gosse.

― C’est vrai, reconnut le flic, mais tu sais aussi ce qu’on dit : si tu ne les vois pas, ils ne te voient pas non plus.

Franck Cori renifla en donnant un coup de menton en direction de la chambre.

― Tu veux que je dissimule les traces avant de signaler le corps ? demanda-t-il. Ou préfères-tu que l’agence s’occupe de venir nettoyer les lieux ?

― Quelle importance ? répondit Simon d’un ton las. Tes supérieurs vont prétendre qu’il s’agit d’un meurtre satanique ou quelque chose dans le genre et classer l’affaire sans suite, non ?

― Mouais, grogna le policier. Y a des chances. Je ne comprends toujours pas pourquoi l’agence travaille dans l’ombre, ni pourquoi aucun gouvernement sur cette foutue planète n’est au courant de l’existence des créatures obscures.

― Les gens ne sont pas prêts, répondit Simon. Pas encore.

― Va quand même falloir qu’ils regardent la vérité en face un jour ou l’autre.

Simon serra la main de son ami et prit congé. 

― Embrasse tes filles pour moi, d’accord ? fit-il en enfouissant les mains dans les poches de son imperméable.

― Passe un soir à la maison, l’invita le Guadeloupéen dans son dos. Doris sera contente de te voir. Les petites aussi.

Simon se tourna avec un large sourire tout en continuant d’avancer.

― À chaque fois que je suis venu manger chez toi, ta femme m’a jeté de l’eau bénite au visage ! railla-t-il gentiment.

― Les superstitions ont la dent dure chez nous ! rétorqua joyeusement Cori. Doris voit le loup en toi. Qu’est-ce que j’y peux ?

Simon sourit.

― Tu n’aurais jamais dû épouser une sorcière pour commencer.

Cori lui adressa un dernier salut de la main et Simon disparut dans l’escalier de l’immeuble.

Dans la rue, il remonta le col de son imperméable. Le vent s’était levé et il neigeait. Ce n’était pas encore de gros pois cotonneux comme il les aimait, juste quelques flocons souples, balayés par le vent.

Devant la vitrine d’un magasin, il croisa son reflet. Il faisait un peu cliché dans son trench-coat de seconde main, et les gens devaient le prendre pour un fou à déambuler si peu couvert par ce temps, mais il n’avait pas froid. Il n’avait jamais froid, c’était comme ça. Un cadeau de la génétique ou une aberration de la nature ; les gens pensaient ce qu’ils voulaient.

Il reprit la route et décida de retourner à l’agence à pied. Simon était content d’avoir discuté avec son ancien mentor. Depuis que ce dernier avait rejoint les rangs de la police nationale, les deux hommes s’étaient un peu perdus de vue.

Il s’arrêta à un passage piéton. En attendant que le petit bonhomme passe au vert, il sortit de sa poche la photo du jeune serveur assassiné et la contempla longuement. C’était la quatrième victime d’une série qui promettait d’être longue si la Confrérie ne se mettait pas rapidement à la recherche de l’assassin. Quatre jours plus tôt, un homme d’une trentaine d’années avait été découvert sans vie, nu, sur son canapé. Pas de trace d’effraction, deux trous dans la jugulaire. La semaine précédente, c’était un banquier de trente-sept ans que l’on avait retrouvé dans son appartement, vidé de son sang.

Simon rangea la photo et traversa la rue. Il était convaincu qu’il s’agissait du même assassin ˗ il y avait trop de ressemblances entre les meurtres ˗, mais quelque chose l’ennuyait dans le mode opératoire. Habituellement, les vampires évitaient de laisser des traces derrière eux. L’histoire avait prouvé qu’ils se débarrassaient toujours des corps, soit en les enterrant, soit en jetant les restes dans les égouts, faisant ainsi la joie des créatures nécrophages qui s’y réfugiaient.

Pas de corps, pas de meurtre, pas de chasse.

Simon expira dans l’air froid. Qu’est-ce qui avait poussé ce vampire à agir différemment des autres ? Était-on en présence d’un novice ? Simon ne le pensait pas, car les victimes avaient été proprement vidées de leur sang. Les nouveau-nés ne parvenaient à contrôler leurs pulsions qu’au bout de plusieurs années de pratique de chasse. Celui-là savait ce qu’il faisait.

C’est tout de même curieux comme manière d’agir, songea-t-il en traversant la rue. À moins qu’il ne cherche à se faire attraper. Ce ne serait pas la première fois.

Simon marcha tranquillement jusqu’à l’agence. Autour de lui régnait une agitation légère et festive. D’abord surpris, il prit conscience des diverses illuminations suspendues au-dessus de sa tête, des vitrines richement décorées de guirlandes et des chants de Noël diffusés à l’entrée de certaines enseignes. En observant les passants autour de lui, les bras chargés de paquets cadeaux, il se dit que cette année encore, il déclinerait l’invitation de sa cousine Julie et de son mari Tom à venir fêter Noël avec eux. Ce n’était pas l’envie qui lui manquait de passer quelques jours sur la côte Aquitaine, mais étant célibataire, il trouvait normal d’être de garde le soir du réveillon afin de permettre à ses collègues de festoyer avec leurs familles.

Ses pas le conduisirent jusqu’à son bureau sans qu’il s’en aperçoive réellement. Après avoir passé les grandes portes vitrées du bâtiment, Simon salua les réceptionnistes dans le hall d’accueil d’un grand geste de la main, badgea à l’entrée du portique et patienta dans le hall jusqu’à ce qu’un ascenseur se libère pour regagner le troisième étage. Quelques minutes plus tard, il sirotait un café devant la photo de Caroline Delambre épinglée sur un tableau d’affichage en liège, juste à côté de celle du serveur. C’est une très jolie jeune fille, cette Caroline Delambre. Une chevelure chatoyante, un regard aussi torride que celui de son oncle, un sourire avenant. Le genre de fille dont on tombe facilement amoureux.

Tout de suite après avoir quitté le domicile de Tristan Delambre, Simon s’était mis au travail. La procédure habituelle en cas de disparition était assez simple en réalité. Il avait communiqué le signalement à tout le service de la Confrérie, au cas où l’un de ses collègues tomberait sur elle au cours d’une enquête ou d’une chasse aux monstres. Il avait également demandé le soutien d’une médium en contrat avec l’agence afin qu’elle se rende sur place. Sans résultat concluant pour le moment.

Il avait maintenant l’intention de consacrer sa journée à interroger le voisinage des Delambre. Il n’avait relevé aucune trace d’effraction sur les lieux, aucun signe que quelqu’un ait espionné la jeune femme pour connaître ses habitudes, de sorte qu’il doutait que Caroline ait été enlevée chez elle. Si kidnapping il y avait eu, les ravisseurs avaient fait le choix d’agir en toute discrétion.

Simon consulta sa montre, posa son café sur le coin de son bureau et jeta un œil au canapé deux places sous la fenêtre. Quelque chose lui disait qu’il allait dormir à l’agence une fois de plus.

 

[1] Dieu de la connaissance et du savoir, souvent représenté avec une tête d’ibis.

[2] Mofwazé ou Mofwasé est un terme des Antilles qui désigne les hommes capables de se changer en chien.

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